Quelques records de températures, une augmentation de la masse salariale, des tomates et des melons indemnes de maladie, le WWOOFing en berne, un nouveau lac d’irrigation, un chiffre d’affaire en hausse… Voici un aperçu des nouvelles, bonnes et mauvaises, de l’année écoulée à la ferme de Videau. Comme cela a été instauré l’hiver dernier sur ce blog, nous faisons une chronique rétrospective de la saison passée, au moment où nous nous apprêtons à démarrer celle à venir sur les chapeaux de roue..
Réserve d’eau chaude
D’abord, et ce n’est pas un scoop, 2022 a été chaud. Le vent d’Autan qui souffle longtemps au mois de mars annonce la couleur, séchant tout sur son passage.. Je suis pressé d’arroser mon jardin dès le mois d’avril par ces conditions anticycloniques inédites. Je cherche à soulager les plantations et aussi me permettre de travailler un sol devenu rapidement trop sec. Hélas, le soi-disant lac qui nous sert de réserve évoque plutôt un trou d’eau chaude et saumâtre: il n’est déjà qu’à la moitié de sa capacité pour des raisons de malfaçon.
Je maudis le sort qui nous a fait rater notre rendez-vous avec un entrepreneur censé reprendre l’ouvrage au mois d’août 2021. Maintenant, il faut attendre l’automne prochain. Et d’ici là, on risque de manquer d’eau pour satisfaire nos gros besoins (je ne parle pas des douches de blondinette). C’est une composante majeure de mon stress: un simple regard à ce lac pathétique, comparé à d’autres belles retenues du voisinage, réveille un sentiment d’injustice. Malgré tous les progrès accomplis, nous restons ceux qui avons raté notre lac.
Sans transition, l’été
En avril, les légumes d’hiver ont définitivement cédé la place. C’était une belle année pour les épinards, les choux et les poireaux. Les laitues d’abri sont arrivées un peu trop tôt (avant la reprise des marchés) mais j’ai pu les vendre en demi-gros à un magasin bio avant qu’elles ne deviennent vraiment monstrueuses. Sous abri aussi, une jolie récolte de radis en fin d’hiver. Ceux semés en avril, en revanche, sont encore petits qu’ils sont déjà immangeables. Ça pique à mort! Sans transition, il fait trop chaud.
Mais un indispensable coup d’œil quotidien aux infographies de Météo France nous sauve du classique piège des gelées tardives. Fin mars, voilà une petite valse de températures nocturnes très négatives. Il faut attendre avant d’installer les légumes d’été, même si on doit se mettre un peu en retard. Je me suis emmêlé les pinceaux dans mon planning: une fois l’alerte gel passée, je me retrouve à planter les tomates d’abri et celles de plein-champ presque en même temps. Y a plus de saisons!
Grosse flemme
Côté coups de main, on fait plus difficilement le plein, la faute au WWOOFing un peu en berne depuis l’apparition du COVID. Notre ami vigneron Jacques Réjalot, très actif dans l’association WWOOF France, me confirme que les statistiques ne sont pas florissantes pour les hôtes. Outre Maxime, notre stagiaire, nous hébergeons à partir du mois d’avril: Ricardo, Benoît, Dusan, Nastasia, Étienne, Sami, Yaya, Nathalie et Didier. Mon beauf s’offre des vacances sans solde au départ de sa Nouvelle-Zélande d’adoption, et vient en renfort de choc au mois de juillet.
Il y a toujours un peu de famille et quelques copains, bien sûr. Mais on se casse les dents sur un planning devenu trop serré: la nounou d’Anaïs nous a planté en juin, et sa remplaçante n’est même pas recrutée. La nounou restante nous dépanne en pointillés. En attendant, Laëtitia doit jongler avec mes horaires impossibles, ses massages à domicile et la garde d’Anaïs. Pour l’entretien des cultures et de plantation, j’ai d’ores et déjà recruté un extra en la personne de Charlotte. On signe des contrats Tesa de 2 ou 3 jours par-ci, par là.
L’un dans l’autre, on arrive quand même à planifier un petit projet bien salissant à l’étage. Les cloisons des chambres sont achevées, mais il nous tarde d’appliquer un enduit de finition en terre sur l’isolant paille. C’est un chantier majoritairement féminin, auquel j’assiste depuis le jardin. Même regardé de près, le résultat est épatant! Ce sera notre seul effort de rénovation. En fin d’année, on confira à un artisan la réalisation des joints placo. La grosse flemme nous guette.
40°C le matin
Concernant la production, je n’ai pas à me plaindre. Les melons sont une réussite, malgré quelques couacs au démarrage sous abri, comme d’habitude, à cause du froid, des limaces, d’un peu de grillure physiologique, et d’un nombre insuffisants de plants du fournisseur. La nouvelle variété hybride que je teste cette année est vraiment super précoce! Comparé à mes collègues, j’arrive enfin à rentrer dans les clous en terme de “temporalité”. En plein champ, c’est encore mieux: les melons sont superbes, juteux, parfumés! J’ai de bon retours, et je sens bien que je fais mon trou au marché.
Hélas, si la canicule record de 2022 est une bénédiction pour les melons qui apprécient le chaud et le sec, les tomates goûtent moins ce genre d’excès. À partir de juillet, le mercure tutoie les 40°C sous abri, malgré le voile d’ombrage. Tout un étage de bouquets floraux ne donne pas de fruit. Certes, on bat d’abord plusieurs records de récolte. Mais en août, et comme chez de nombreux collègues, arrive le creux de la vague: les tomates disparaissent des étals. Finalement, la production repartira et les plants tiendront jusqu’en novembre, faisant plus qu’arrondir le chiffre d’affaire.
[COUNTER_NUMBER id=2822]
Plein le dos
En août, une semaine de pause à Biscarosse. J’ai le bas du dos en feu, et comme d’habitude une grosse baisse de tension à la perspective de ces quelques jours de relâche, avec son lot d’éruptions: fatigue, fièvre, nausées… L’indéfectible ami Francis me remplace aux récoltes pendant la semaine, et Max assure le marché du mercredi contre un petit billet. 5 jours plus tard, à peine rentrés de la plage, il faut déjà préparer le marché du dimanche. Mon mal de dos se réveille aussi sec et je jure de prendre une vraie semaine l’an prochain.
La sécheresse continue d’apporter son lot d’emmerdes. Prudent, je choisis de ne pas semer pas les betteraves faute de pouvoir préparer le sol, afin d’économiser la réserve d’eau. Je crame plusieurs centaines de poireaux en étalant le chantier de plantation sur trois jours, et en n’arrosant pas tout de suite les premiers rangs. Pour ceux qui restent, la reprise est difficile. Quant au semis de carottes de juin, il est trop clairsemé. Peut-être à cause de la chaleur, d’un compost de déchets verts trop grossier, et sans doute aussi du semoir bas de gamme.
Cent patates
Parmi les grandes leçons de l’année, lesquelles orientent la stratégie de la saison prochaine, il y a la difficulté à planter des pommes de terre au mois de mars-avril, dans un sol pas toujours ressuyé, et à une période chargée en travail. Tout est fait à la main: plantation, buttage, désherbage, lutte contre les doryphores, récolte. Sans tracteur, je ne vaux rien comme patatier. L’an prochain, je ne ferai que de la pomme de terre primeur, sous serre, vendue en début de saison au prix fort et autrement rentable.
Deuxième changement, social celui-là: je deviens officiellement exploitant au yeux de la MSA et je vais cotiser à taux plein. Il ne manque qu’une condition pour décrocher l’aide à l’installation du département: tenir une comptabilité de gestion. Encouragé par quelques collègues, j’adhère à l’AFOCG pour me former, de manière collective et avec d’autres agriculteurs, à cette discipline obscure ou l’on compte aussi en patates. Comme s’il était utile d’avoir encore un peu le cerveau qui fume, ou un planning davantage chargé. Mais je me rassure en pensant que ma petite entreprise en sortira grandie. Et j’ai raison, bien sûr.
C’est qui le patron?
Plus ambitieux encore, nous décidons d’accepter la candidature spontanée d’un apprenti de 19 ans, emballé par notre projet, désireux d’apprendre le métier de maraîcher autrement que dans une grande exploitation. Une aide exceptionnelle votée pendant la pandémie couvre la totalité de son salaire la première année. En lissant les aides sur 2 ans, on obtient un reste à charge de 380€ par mois pour l’employeur. Ce n’est pas rien, et c’est en même temps très peu. On vise bien sûr un gain de production, mais l’idée est d’abord d’économiser du temps pour la famille… et la santé mentale du patron.
Allan, c’est le nom de notre apprenti, démarre à l’automne. Comme il habite loin, on lui installe une vieille mais chic caravane. Maintenant, on est 4 à la maison. Et je profite à fond de l’aubaine. À deux, on abat du boulot. Les journées sont rondement bouclées, on finit à des heures raisonnables. La fin d’année approchant, je peux combler mon retard en matière de paperasse, de compta, et je me paie le luxe de m’impliquer un peu plus dans l’asso du marché bio de Villeneuve-sur-Lot. Pendant ce temps, quand je suis au bureau ou au marché, Allan suit les consignes et parfois même un peu plus. C’est une bonne recrue!
Que d’eau, que d’eau
Fin-septembre, c’est enfin le démarrage des travaux de réfection du lac. Je suis obligé d’irriguer à l’eau de ville. Mais le chantier avance vite. Les engins ont vite fait de démolir l’existant, puis étalent minutieusement, couche après couche, une argile bien tassée, pour former une digue qui doit retenir l’eau pour de bon, cette fois-ci. Une semaine après, la messe est dite. C’est un gros trou dans le portefeuille, et un énorme poids qui s’enlève de mes épaules. Il ne reste plus qu’à rebâtir pour la pompe une jolie petite cabane… Et trouver un moyen de remplir rapidement notre bassine neuve, mais parfaitement vide, car il y a toujours des cultures à arroser.
Pour commencer, on va puiser dans le lac d’une ferme en contrebas avec le soutien de quelques voisins, c’est à dire le prêt du matériel nécessaire: une pompe attelée sur prise de force, un tracteur pour la faire tourner, et des tonnes de tuyaux. C’est un peu l’inconnu, pour moi, mais le chantier se déroule sans encombre. Fin septembre, l’eau du lieu-dit La tuilerie monte jusqu’à Videau, par un réseau de 400m de conduites, en passant sous la route communale. Le précieux liquide redescend ensuite par notre propre système d’évacuation des eaux de pluie. Un plein de diesel et 18h plus tard, notre réserve est pleine au tiers… et la nature fera le reste.
Pujols contre Villeneuve
En octobre, j’arrête le fameux marché du dimanche à Pujols (47), où j’avais intégré une petite communauté d’exposants hauts en couleur, soudés devant l’adversité commerciale de ce village touristique bondé en été mais désertique en hiver. Je donne raison à Laëtitia, laquelle jugeait nécessaire que les dimanches en famille deviennent réalité en dehors des congés annuels. Dorénavant, je pose mon étal le samedi matin à Villeneuve-sur-Lot, où je retrouve rapidement mes clients habituels du marché bio. Le chiffre fait un bond. Pujols contre Villeneuve, commercialement, y a pas photo.
À la maison, les travaux de la serre bioclimatique touchent à leur fin. L’ami Benoît, de Bruxelles, avait promis de revenir nous voir à l’issue de son WWOOFing. Fin octobre, il prête main forte aux finitions: on pose des menuiseries de récup, qu’on habille ensuite d’isolant, de bardage et de lambris. Allan est de la partie, bien sûr, entre deux semaines de cours. En décembre, le plus gros est terminé, sauf la chape et les évacuations, mais le maçon attendra que mes semis de janvier aient déménagé à l’extérieur. Et nous, on attend toujours la subvention promise pour ce chantier, presque un an après le lancement.
Un deux trois sommeil
En novembre, Anaïs n’est toujours gardée qu’en pointillés. Sa nounou n’a pas encore été remplacée. Laëtitia doit contracter son planning professionnel, même si le fait de pouvoir se libérer le week-end depuis que j’ai arrêté le marché du dimanche offre des possibilités pour ses prestations. Elle prévoit de rééditer des flyers, car la clientèle se réduit un peu. Elle s’est inscrite à un cours de danse, et va régulièrement au yoga. Anaïs a toujours un sommeil décousu, et sollicite énormément sa maman. Mais à presque 3 ans, elle est espiègle, rigolote et s’exprime déjà très bien. C’est un bonheur de la voir grandir au milieu de notre petit coin de nature.
Hélas, la fin d’année n’est pas aux lendemains qui chantent pour l’agriculture biologique. Le pouvoir d’achat est devenu le sujet numéro un et le marché du samedi, prometteur en novembre, semble d’un coup trop petit aux commerçants qui ont choisi de faire autre chose que du discount. Laëtitia souffre encore de ne pas trouver d’équilibre entre sa vie professionnelle, ses obligations de maman et notre quotidien à la ferme. Il faut sans doute encore revoir la stratégie. Pourtant, je bats mon record de chiffre d’affaire. Et la présence d’Allan nous permet de souffler. On sort du tunnel, mais la route est encore longue!