Du 2 janvier au 1er février 2020
On serait tenté, pour cette première chronique de l’année, de faire le point sur nos projets pour 2020. Ça serait marrant, comme célébration, de faire le bilan de l’année écoulée. Ça serait surtout probablement barbant, vu que c’est ce qu’on fait déjà tout le temps ici, non? Des bilans et des projections. Des exploits révolus, des défis prochains. Alors que, hé, carpe diem, quoi. Le futur viendra bien assez tôt. Et le passé, c’est so 2019! Pour changer, on va prendre une seule bonne résolution: passer ce récit au présent.
Le 2 janvier, on met une touche finale à l’isolation de l’étage. Alex, notre ex-WWOOFeuse de Périgueux, devenue intime, est avec nous pour quelques jours et je veux vérifier s’il existe chez elle une vocation pour la pose d’un joint d’étanchéité à l’air. Ce chantier-là prend fin, pour de bon. Les filles s’attellent au rangement du matériel et des outils. Le lendemain, c’est la vocation peinture à la bombe que je teste chez Alex, avec la rénovation de la galerie de toit du fourgon, précédemment grattée et traitée à l’antirouille. Et comme on sait varier les plaisirs, Alex rejoint ensuite Laëtitia pour la compilation de mes revenus agricoles 2019. La compta à deux, c’est plus sympa.
Dimanche 5 janvier, c’est l’anniversaire de Claudette, à Feugarolles. On fête aussi les rois mais personne n’a la fève. Surtout pas Alex, qui est restée à la maison pour garder les fauves et la wifi. Ça nous change les idées, on fait la connaissance de Thierry qui est sympa et cultive blé, sarrasin, lentilles, pois… en Anjou. Ça nous change les idées mais forcément, on parle agriculture. Et puis bon, faut bien l’avouer, je n’ai pas encore bouclé mon planning de culture, et j’y pense un peu tout le temps. La compta, c’est moins sorcier. Le relevé des factures de terreau, engrais, plants et semences… est terminé et accessoirement envoyé à mon stagiaire en BPREA maraîchage.
La deuxième semaine de janvier commence. Laëtitia revenue de son cours d’allaitement à la maternité de Villeneuve-sur-Lot, on fait équipe avec Alex pour couvrir nos deux nouveaux tunnels d’une bâche plastique neuve. J’ai trouvé une technique: les extrémités d’une barre métallique passée à l’intérieur du rouleau de film sont posées entre deux piquets de serre en forme d’étrier. Le rouleau ne touche pas le sol et on peut déplier la bâche sans effort, et surtout sans la salir. Ensuite, il faut tendre des ficelles de part et d’autre des arceaux de la serre. On fait le plus gros en cas de coup de vent, et on achèvera d’installer la totalité des ficelles le jeudi, après le marché du mercredi, et un mardi consacré aux récoltes et à la troisième échographie suivie d’un cours de préparation à l’accouchement ouvert aux papas.
Un peu tous les jours, Laëtitia tente de dégoter en ligne du matériel d’occasion avant l’arrivée du bébé: tapis d’éveil, babyphone, veilleuse, langes… En mâle sous-évolué, je préfère lui abandonner ce domaine de compétence et me consacrer au jardin. Alex fait les frais d’un programme chargé: occultation du futur emplacement des oignons avec des bâches d’ensilage pour faire disparaître les résidus de moutarde, et de celui des futures aubergines après destruction de sorgo à la débroussailleuse, désherbage à la main de ray-grass avant une dernière plantation d’ail, émiettement de mottes de terre à la bêche… Enfin, armés de colliers, boulons et clés à cliquet, on installe des barres de culture horizontales dans les deux nouveaux tunnels. C’est une partie de Mécano qui se joue plus vite à deux.
Le dimanche 12 janvier, on reçoit nos amis Delphine, Marion, Baptiste et Nico, de Saint-Eutrope-de-Born. Comme d’habitude avec Nico, rencontré à l’occasion d’un chantier participatif terre-paille, on échange à bâtons rompus autour de l’écoconstruction, et une journée complète n’y suffirait pas. On reprend à peine notre souffle, juste le temps d’engloutir un confit de porc et un foie gras maison, et mon désormais célèbre gâteau renversé aux pommes. Christelle, la fille du voisin Yves, passe à l’improviste nous présenter ses vœux. À la fin, tout ce beau monde prend congé, y compris Alex qui rentre à Périgueux. Un calme sépulcral retombe sur la ferme de Videau.
Troisième semaine de janvier: j’avance sur la refonte du site web du golf de Tombebœuf et tente de faire jouer mes relations au Biau Germe afin de me procurer en urgence des graines d’oignon, de betterave et de laitue. C’est un ajout de dernière minute au planning de culture. Je rend visite au voisin Garonnais, car je veux lui demander l’autorisation de placer mes semis dans sa grande serre, dont l’amplitude thermique est plus raisonnable. Le jeudi, j’ai toutes mes graines, dont des oignons de saison de type Trébons, que je sème en alvéole et en caisse polystyrène dans un terreau additionné de guano de pigeon. Ces légumes iront sous un tunnel et donneront à la fin du printemps. En attendant, ils lèvent dans un coin du salon, au chaud.
Laëtitia est enceinte à plein temps: il y a le cours hebdomadaire de préparation à l’accouchement (et celui de français donné à Michael, notre Sud-Africain local), le tri des vêtements de bébé, un dernier point couches lavables avec la couturière. Vendredi, grand ménage avant l’arrivée de l’équipe de reporters du Citron, la revue «qui voit du pays et des paysans», laquelle nous fait l’honneur d’un numéro spécial, en même temps que le voisin Yves, intarissable mémoire du village qui a connu près d’un siècle de transformation de l’agriculture et du paysage. On s’entend bien, le repas n’en finit plus. Yves sort le tracteur pour une session photo au couchant. J’ai tout juste le temps de planter la dernière planche d’ail avant le soir.
Je m’attelle maintenant à la création du site web de la commune de Villebramar. Puis je réalise le premier semis de carottes (napoli F1) de l’année, toujours sous tunnel, à travers du compost de déchets verts. Roulage, arrosage, et pose d’une bâche noire pour conserver l’humidité jusqu’à la levée: à part le semis proprement dit, réalisé à la main, je me flatte de la sophistication d’un tel itinéraire technique, qui ne peut que donner de bons résultats! On fête ça, et tout le reste, le samedi soir avec quelques voisins chez Huguette, laquelle a préparé un coq au vin et, pour me faire plaisir, des cardes de son jardin. Et puis, pour le folklore, on s’engueule à propos de politique, car les contestataires à la réforme des retraites n’ont pas du tout la cote autour de la table.
Début de semaine suivante, je reçois la visite de Benoît, horticulteur de son état, et ensemble nous vérifions les derniers détails de mon planning de culture. Benoît assurera le semis de la première série de légumes fruits (tomates, aubergines, courgettes…) et celui de la totalité des laitues, poireaux, choux et épinards. Faute d’une serre à semis digne de ce nom à la ferme, je préfère, cette année encore, sous-traiter le plus gros de ce travail. Ce qui me laisse tout de même une jolie liste d’espèces pour mon compte, tels que haricots, carottes, aromatiques… que je m’empresse aussitôt de commander auprès de mes semenciers favoris. Et le vendredi, un copain maraîcher de La-Sauvetat-du-Dropt m’emmène à Bazas, où nous prenons livraison de pommes de terre primeurs arrivées de Bretagne. Ça commence à s’animer!
Au marché de Villeneuve-sur-Lot, en attendant, c’est la dèche. L’automne au jardin a été délibérément mis entre parenthèses, et la production est à l’avenant: salades encore petites, épinards une semaine sur deux. Les blettes et oignons se font attendre. J’ai les courges de chez Sabine à Tombebœuf, et notre stock de tomates en conserve, mais ça ne durera pas. Mon étal est réduit à sa plus simple expression et cette période de creux s’annonce longue, très longue, avant l’arrivée des légumes de printemps. Avantage: les récoltes sont vite expédiées et j’en profite pour revenir petit à petit sur l’interminable todo list de la ferme, à commencer par un grand ménage dans la grange, un maniaque rangement du matériel agricole et même un plafonnier dans l’atelier pour y voir plus clair.
Samedi 25 janvier, il restait à Sandie un stock de fromage: on reçoit donc à la maison pour une fondue savoyarde mais gasconne sans engueulade. Le lendemain, c’est Sandrine qui nous rend visite. Et le soir venu, on prend les mêmes que la veille et on recommence, cette fois pour un apéro au golf de Tombebœuf, dont nous espérons qu’il deviendra un rendez-vous hebdomadaire, genre de bar des copains du dimanche soir, où bien sûr on baragouine anglais, south-west style. Le jour-même, j’avais remplacé la bâche qui fermait tant bien que mal la vidange des toilettes sèches par une vraie double-porte en bois de placard. Quel rapport? Aucun! Simple hasard du calendrier, et quand même pour dire qu’entre deux apéros, on travaille aussi le dimanche.
Derniers jours de janvier, Laëtitia se rend à ses rendez-vous habituels, expédie de la paperasse et rencontre la banquière pour renégocier le crédit immobilier. Je bine les oignons primeur, taille et éclaircis les fraisiers. Le rangement du matériel prend fin, pile à temps pour faire bonne figure à la réunion de notre petit groupe de «maraîchers petite surface» du Lot-et-Garonne, poignée d’agriculteurs souvent en reconversion, laquelle réunion a lieu cette fois chez nous, autour d’un repas partagé après la visite de la ferme et des échanges techniques roboratifs. On est heureux de se retrouver. L’occasion de se refiler les meilleurs tuyaux, organiser des achats groupés, se souhaiter bon courage pour la saison… se sentir moins seul, quoi. On jure de se revoir vite. Mais le tic-tac infernal de la reprise de la saison nous en laissera-t-il le temps? Tic-tac, tic-tac… Février, déjà!