2021, un bon cru qui nous laisse cuits

Un an déjà, ou presque, que la ferme de Videau n’a pas donné de ses nouvelles. En avril 2021, on laissait tomber l’écriture de notre journal de bord, lassés par le sacrifice de nos rares moments de détente. Nous avions, comme d’habitude, suffisamment fort à faire. On s’est dit qu’un bilan détaillé de notre saison, pour la nouvelle année, ferait l’affaire.

La ferme aux mille visages

Une saison à la ferme, c’est d’abord une foule de visages. Parmi les WWOOFeurs, on a déjà parlé de Damien, arrivé au mois de mars. Après son départ, nous recevons Loris, de Nantes, qui n’a pas compté les pelletées de compost de déchets verts. En juin, nous accueillons trois ingénieurs: Clara, Magali et Adrien font l’expérience du désherbage en pleine chaleur, m’aident aux récoltes et aux plantations, et mettent tout leur talent à la réalisation d’un corps d’enduit en terre pour couvrir l’isolation paille de l’étage de la maison.

En juin-juillet, nous hébergeons Gabriel, mon binôme dans la colossale plantation des poireaux et des choux, et accessoirement expert informatique au secours de nos machines sous Linux. Nathalie et Marion, de passage en août, finalisent le corps d’enduit dans la chambre d’Anaïs et m’accompagnent au jardin et au marché. Andréa prend le relais en septembre. À partir d’octobre, nous pouvons compter sur Maxime, en BPREA à Sainte-Livrade, pour 9 semaines de stage réparties sur l’année scolaire.

Et puis, il y a les amis et la famille. Surtout l’été, il font l’effort de nous rejoindre dans notre cambrousse. Ce sont les copains Vicky et Guillaume, Delphine et Andreas, Lucile et Fred, Frédérique et Cédric. Il y a le frangin, la belle-doche, les petites nièces, parents, beaux-parents. Tous ont, d’une façon ou d’une autre, prêté main forte et participé à nous sortir la tête de l’eau. Les amis d’ici, ils nous aident plus professionnellement encore, puisque ils sont eux-même agriculteurs. Et l’effort qu’ils font pour nous rejoindre a surtout à voir avec leur propre planning chargé!

Grandeur et décadence des légumes

Avant de parler des succès agricoles de la saison écoulée, évoquons les échecs. 2021, c’est d’abord un été pourri avec une forte pression du mildiou. Seulement 125 kg de tomates roma ont été récoltées (pour 200 pieds). Les variétés rosa et huguette, palissées à plat, n’ont quasiment rien donné. En revanche, les variétés ananas et striped german, palissées verticalement sur treillis soudé ont relativement bien résisté.

Les aubergines et les poivrons n’ont que peu produit, la faute sans doute à une météo trop fraîche et une préparation du sol insuffisante: l’irrigation par goutte-à-goutte dans un sol lourd et trop motteux ne profite pas aux racines de la plante et à la minéralisation. Cet hiver, les choux ont tendance à pourrir au champ. Peut-être a-t-il fait trop humide, trop froid? Comme en 2020, presque aucun chou-fleur n’a été récolté.

Dans la rubrique des résultats mitigés il faut citer les oignons au calibre trop petit, mais plantés en quantité suffisante: j’en vends encore aujourd’hui. Idem pour les courges dont le semis direct a un peu souffert des limaces, mais dont le stock a duré jusqu’à la fin janvier. Les pommes de terre filent bien trop vite mais je ne veux pas en produire davantage. Depuis le mois d’octobre, je revends la production d’un collègue de la vallée du Lot.

Ceci dit, le bilan commercial de l’année est plus que positif. Le planning de culture ayant été étoffé, nous avons eu davantage de diversité de légumes, plus longtemps. Sur le marché, j’ai battu mes précédents records de chiffre d’affaire (surtout l’été) et la taille de l’étal s’est maintenue jusqu’à la fin décembre. J’ai eu de beaux melons en plein champ, et c’est dommage qu’ils soient arrivés groupés à maturité, occasionnant beaucoup d’invendus. Net progrès pour les carottes, avec des semis réussis (parmi d’autres plus clairsemés), mais toujours plus de régularité dans la production. Les courgettes ont résisté à l’oïdium. La campagne des épinards est une réussite.

Le principe des paniers de légumes sur commande à retirer à la ferme ne décolle pas: on oscille entre 5 et 10 paniers hebdo, mais la demande se maintient jusqu’en décembre et les paniers sont plus remplis. L’élargissement de la gamme y est évidemment pour quelque chose. De toute façon, le reste du stock est vendu sur les marchés, et une grosse augmentation du nombre de paniers serait difficile à absorber. La situation est satisfaisante.

Innover pour mieux sauter

Comme chaque année, aiguillonné par mes lectures ou mes échanges avec mes collègues maraîchers, je teste de nouveaux itinéraires techniques. La plantation sur paille des pommes de terre, par exemple, a donné de bons résultats, malgré la présence de doryphores, grâce à l’absence des mulots. J’ai essayé le semis direct des courges, ça n’a bien fonctionné que par temps sec, ou alors les limaces faisaient systématiquement le ménage.

Pour la première fois, j’ai planté des patates douces, dont j’avais moi-même produit les boutures. Le rendement est décevant, mais c’est une culture qui ne présente pas de difficultés, à retenter l’an prochain. J’ai pu planter l’ail à la suite des pommes de terre comme prévu, mais ça n’a pas été sans mal: il a fallu pousser l’épaisse couche de paille dans les allées, avant d’épandre du compost de déchets verts. Par contre, c’est sur un paillage de broyat (merci les élagueurs du coin) que j’ai cultivé basilic et persil.

J’ai acheté un semoir monorang: le Earthway. C’est un semoir bon marché qui n’est pas d’une précision folle, mais qui a donné de bons résultats dans le semis direct de betteraves fourragères (pour les copains de Lou Cornal) dans du compost de déchets verts qui ont été arrachées en mai avec succès: pas d’herbe, de la quantité. Le Earthway est très bien pour les radis ou les navets. J’ai fait un semis de carottes très réussi en avril, moins bien en juin, en août et en novembre. Bref, c’est toujours mieux qu’à la main, mais je suis encore en rodage.

À l’automne, je sème à proximité des tunnels un mélange de fleurs destiné à attirer les pollinisateurs au printemps, notamment des prédateurs de pucerons. Et j’investis dans de la bâche d’ensilage neuve pour l’occultation de parties entières du jardin pendant l’hiver qui ainsi ne subiront pas le lessivage et le tassement liés aux intempéries.

Enfin, nous avons des poules! C’était la moindre des choses que de produire nos œufs comme presque tout le monde à la campagne, mais les conditions n’étaient pas réunies, à savoir: un abri digne de ce nom avec perchoir et une clôture électrique. Les poules ont d’abord séjourné dans le carré des patates, puis nous avons déplacé la clôture selon nos besoins. On a l’espoir qu’elles nous débarrassent des parasites du sol. Au moins, elles maîtrisent l’herbe.

On reste ouverts pendant les travaux

En 2021, les travaux n’arrêtèrent pas. Mais on a échoué à boucler complètement ceux de l’étage de la maison. Les enduits de la chambre d’Anaïs ne sont pas achevés. Seule la salle de bain est terminée, à un détail près: un corps d’enduit en terre et paille a été appliqué sur l’isolation mais il reste à faire l’enduit de finition, pas avant le printemps 2022. À l’heure où je vous parle, nous attaquons l’aménagement de la deuxième chambre: électricité, cloisons, isolation du mur ouest.

Le petit tunnel-pépinière aménagé en mars a rempli son office. D’abord en accueillant les semis précoces d’oignons, puis ceux des légumes de plein champ que je fais moi-même, parfois comme espace de transit des plants achetés chez un horticulteur. Tout près, l’essaim d’abeilles sauvages qui vit dans le grand chêne a été «aspiré» dans une ruche placée à côté par l’ami Colin. L’accès à l’ancienne ruche dans le chêne a été colmaté. Des abeilles sauvages dans son jardin, c’est une chance. Mais beaucoup trop de nos visiteurs se sont fait agresser sans raison.

La vraie grande nouveauté, la voici: les travaux de transformation de l’auvent de la maison en serre bioclimatique, démarrés en octobre. Nous bénéficions d’une subvention de la région (une tiers du montant TTC des travaux), il ne restait plus qu’à attendre l’arrivée des artisans. Trois phases: démolition de l’existant, coulage d’une dalle béton sur un isolant de récup’, charpente et couverture en polycarbonate. On en a profité pour demander au maçon de créer une ouverture dans le mur de la chambre du rez-de-chaussée qui communique avec la nouvelle serre. Deux phases supplémentaires sont prévues en auto-construction: pose de menuiseries de récup’ et isolation sous toiture. Le chantier sera vraisemblablement achevé au printemps 2022. En attendant, quel changement!

Enfin, nous avons presque terminé l’aménagement de deux nouveaux tunnels, ce qui porte leur nombre à 8. Mais la surface cultivée ne change pas. Ces tunnels étaient auparavant divisés en 4 planches de culture, mais j’ai changé pour 3 planches seulement, à grand coup de pelle et de houe (avec l’aide de Maxime). L’objectif: en décollant les planches extérieures du bord de la serre, on évite que l’eau ruisselant sur la bâche se retrouve dans les cultures. Surélevées, ces 3 planches sont à l’abri de l’excès d’eau et c’est aussi plus confortable pour travailler.

Et le bien-être dans tout ça?

Pour Laëtitia, l’année 2021 est celle de la reprise. Elle a intégré une «maison du bien-être» à Pinel-Hauterive mais les rendez-vous y sont assez anecdotiques. À domicile, par contre, les affaires reprennent et plutôt bien. Laëtitia se reconstitue sûrement une clientèle. En décembre, les bons-cadeaux partent comme des petits pains.

Pour la première fois, nous prenons une semaine de vacances en août (dans le Béarn). Merci à l’ami Francis qui s’est porté volontaire pour assurer le remplacement: irrigation, récoltes et stockage dans une chambre froide dégotée pour l’occasion. Nous bloquons une autre semaine en octobre à Biscarosse. Je saute le marché bio de Villeneuve-sur-Lot deux jours avant Noël pour les vacances en famille. Exceptionnellement, histoire de récupérer quelques week-ends en famille, j’arrête le marché de Pujols en janvier-février.

Bien sûr, on a fait la fête. Le 14 juillet a eu lieu une édition spéciale du marché bio de Villeneuve-sur-Lot, et j’ai cuisiné quelques petits plats en même temps que mes collègues. Pour le marché gourmand de Villebramar, on a préparé des spécialités végétariennes mais c’était beaucoup d’énergie dépensée pour pas grand chose: les visiteurs ont préféré les magrets de canard. Dans l’été nous participons à la création de l’association Les pot’s en culture avec les copains du voisinage. L’asso accueille un festival itinérant («Culture cultures») et organise les «contes dans la nuit» un samedi soir d’octobre au golf de Tombebœuf. Par contre, le COVID a eu raison de la plupart de nos soirées d’hiver entre amis.

La petite Anaïs aura deux ans en février 2022. Les nuits sont toujours difficiles, et le moindre changement de routine, comme les départs en vacances, ruinent les progrès accomplis. Mais bien sûr notre petit bout n’en finit pas de grandir et de s’épanouir. Elle aime follement ses livres et griffonne de plus en plus. En dehors de la crèche, son quotidien est celui d’une fille de la campagne: on nourrit les poules, on collecte les œufs, on mange les fraises directement au champ. Anaïs tire la queue du chat, rend visite aux vaches d’une ferme voisine. Et tous les jours, des mots nouveaux.

Pour résumer, 2021 ne fut pas encore une année pépère. La maison reste un chantier permanent, et jongler entre nos emplois du temps et la vie de famille, surtout l’été, nous a laissé complètement cuits. Jusqu’à l’hiver, nous avons heureusement été épargnés par le COVID peu présent en Nouvelle-Aquitaine. Nos visiteurs ont apporté leur pierre à l’édifice et de grandes avancées ont été faites, tandis que notre modèle agricole se confirme malgré les aléas. Un bon cru, finalement. N’empêche, la route reste longue. 2022 ne sera pas pépère non plus!

7 Replies

  • Coucou les paysans, les cultivateurs de bien être et l’apprenti de la vie……..

    C’est un vrai plaisir de lire toutes ces nouvelles, de voir tous ces changements et de se rendre compte que le bonheur ça se cultive également.
    Que d’énergie, de motivation, d’idées qui rendent ce projet bien vivant.
    J’espère qu’en 2022 on pourra repasser vous voir en famille pour manger une belle omelette confectionnée par Anaïs où aller déguster avec elle les fraises du jardin.
    Continuez sur ce beau chemin de la vie et à très bientôt

    La famille fonfon

    • Coucou vous trois.
      Comme ça fait plaisir de lire tout ça !
      Quel courage.
      Anaïs est superbe.
      Je vous embrasse très fort.
      Merci pour les nouvelles.
      Françoise Michel

  • On a eu bien du plaisir à lire toutes ces nouvelles 🙂 et à imaginer tous les changements qu’il y a eu depuis notre visite! Un grand bravo à vous 3. On se réjouit d’entendre vos nouvelles aventures!

  • Un immense plaisir à lire cette chronique paysanne.
    On est conquis par la serre climatique, qui accueillera sûrement
    aussi les chaises longues. Et votre envie de faire encore mieux que les années passées.
    En tant que grands-parents,on est surtout touchés par ce bout de chou, qui mène sa petite vie avec le naturel des enfants, dans un
    décor que des petits citadins pourraient lui envier.
    A bientôt de vous voir, maman et papa

  • merci pour ces nouvelles très longues et documentées, du temps alors que vous en avez peu… un grand bravo pour toutes ces initiatives, je suis admirative en lisant et en voyant les photos, quel courage et quelle énergie ! Votre maison prend forme et sera superbe, et Anaïs grandit en énergie et en sagesse… dès que je peux je fais un saut pour planter des choux ! mc

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