Du 2 au 29 février 2020
Le mois de février s’annonce comme un mois riche en événements. On arrive certes à un moment charnière dans l’année, celui du redémarrage de la saison de maraîchage. Surtout, le ventre de maman s’est beaucoup arrondi et nous attendons avec impatience, et aussi pas mal de trac, un départ prochain à la maternité. Il y a assurément du printemps dans l’air, même si le temps est presque toujours à la pluie. Idéal pour l’arrivée d’un petit poisson, non? De toutes façons, il en faudrait plus pour doucher nos projets d’avenir.
Les carottes que j’avais semé dans un compost de déchets verts sous bâche sont en train de lever. Je remplace le plastique par un voile de forçage. Je m’attaque à l’aménagement des deux nouveaux tunnels, édifiés le mois précédent: il s’agit de pelleter la terre des allées à l’emplacement des nouvelles buttes. C’est un exercice plutôt bon pour le cœur, désastreux pour le dos. Ce dimanche, c’est la conscience sportive tranquille que j’assiste au choc France-Angleterre (c’est du rugby) pendant le désormais hebdomadaire apéro du dimanche soir au golf de Tombebœuf.
Les parents de Laëtitia sont à la maison. Beau-papa installe une main courante dans l’escalier, et d’autres menus bricolages dont la date de réalisation s’éternise dans un planning trop encombré sont achevés. Nous avons rendez-vous avec un représentant de l’association Marché des Producteurs de Pays du Lot-et-Garonne, dont le label intéresse le comité des fêtes de Villebramar pour son marché nocturne prévu à l’été 2020. Je passe commande de bâche plastique pour l’ouverture des serres, et pour la création de petits tunnels nantais (qu’on appelle aussi “chenilles”) pour les fraises et les patates primeurs.
Et puis, il y a bébé. Huguette nous a fait cadeau d’une adorable couverture en laine tricotée main. Laëtitia n’en finit plus de trier et de ranger les petits effets personnels, les crèmes et les onguents, les langes et autres couches lavables de notre future. Mardi 4 février, c’est l’avant-dernier rendez-vous avec la sage-femme. Le lendemain, les valises qui nous accompagneront à la maternité sont prêtes. Et un jour plus tard, j’assiste au cours de préparation à l’accouchement avec d’autres papas. C’est un curieux moment d’intimité partagé. Prêts, les papas? Les mamans ont l’air d’y croire.
Ces jours-ci, je suis dans le plastique jusqu’au cou: le voisin Garonnais m’embauche pour couvrir ses fraises. Je fais pareil à la maison, et je songe déjà aux jolies barquettes que je vendrais au bord de la route. Puis je commence la mise en place des ouvertures de tunnels. Avec l’arrivée des copains Leila et Guillaume depuis Vincennes, le samedi 8 février, j’ai du renfort pour installer l’irrigation dans les mêmes tunnels, pour planter une première série de pommes de terre primeur sous chenille, et pour semer une dernière série d’oignons jaunes. C’est la première fois que Leila, qui démarre une formation de paysagiste, sème quelque chose. On promet à tous les deux d’envoyer des photos.
Mercredi suivant, à l’issue du marché bio, on se retrouve avec Sabine, Sandie, Gildas et Damien au nouveau restaurant Les allées gourmandes sous l’ancienne halle de Villeneuve-sur-Lot. C’est une tradition dans la bande, de s’offrir une bonne table avant la naissance d’un enfant. On a tout de suite aimé l’idée, tu parles. C’est notre sortie en ville de l’année, on est chics et beaux, et pas sûr que ça se reproduise avant une bonne paye. Avec Sabine et Damien, fils de paysans, on évoque la différence de vues entre générations d’agriculteurs. On se sent plus pragmatiques, moins militants. Résignés, peut⁻être? Ou moins prosélytes. Nous prêchons par l’exemple. En tous cas, on a bien mangé.
Le lendemain, retour au jardin: l’installation de l’irrigation et des ouvertures de tunnels, c’est fini. Dans le dernier tunnel il reste quatre buttes à aménager. C’est pas gagné: après un passage de grelinette, une partie du terrain n’est qu’un champ de mottes. C’est dur comme du béton en surface, détrempé en dessous. Alors, il faut attendre. Que ça sèche. Puis arroser. Attendre encore. Et travailler la terre à nouveau. C’est ainsi, ai-je appris en deux ans, qu’il faut composer avec l’argile. Par contre, là où l’herbe a beaucoup poussé depuis l’automne, la terre se défait facilement. L’argument des couverts végétaux prend tout son poids. À reproduire, à tout prix.
Lundi 17 février, un résultat d’analyse montre un excès d’acide urique chez Laëtitia. Plongé dans un roman d’Alexandre Dumas, je ne peux m’empêcher de penser à la crise de goutte qui terrassa Mazarin. C’est sans doute moins grave, et c’est le cœur plutôt léger que nous recevons Anaïs et Julien, montpelliérains sur la route de Biscarosse, pour déjeuner. Le lendemain, je découvre la ferme de mon voisin Philippe, dont les potimarrons verts Iron Cup se sont rendus indispensables à mon pauvre étal de marché, seulement composé de laitues, épinards et blettes, en pointillés. Je revendrai donc des potimarrons. Et je ronge mon frein. Le printemps sera formidable… quand viendra le printemps!
Les récoltes sont donc vite expédiées, mais j’ai d’autres occupations: au jardin, je maçonne de petites plateformes en carreaux de terre cuite de récup’ pour y poser des cuves de 200L dans lesquelles on plongera l’arrosoir des semis. Je dresse enfin l’inventaire du matériel apporté par le voisin Garonnais depuis le début (arceaux de serre, asperseurs, etc.). Je lui remettrai à la première occasion, en priant pour que la facture ne soit pas trop salée. Je m’attelle à la construction d’un genre de niche, un abri pour deux moutons importés du cheptel de Sabine, lesquels feront de précieuses tondeuses. Enfin, il y a la taille d’hiver: Laëtitia, enceinte jusqu’au yeux, m’aide un peu à raccourcir les buis, le noisetier, les rosiers…
Et puis, il y a le petit bois de Seyches de nos amis, dans lequel on nous offre une concession, et que les arbres abattus l’hiver dernier attendent toujours d’être débités. Je fais le plus gros. Le 21 février, on reçoit Sandrine et Thierry, un agriculteur rencontré le mois précédent, et j’obtiens une foule de conseils pendant la visite de notre modeste domaine, notamment sur l’emploi des engrais verts. Le week-end c’est au tour de cette chère Marie de nous rendre visite depuis Paris. Marie est une habituée qui sait notre musique. Elle apporte de bonnes bouteilles et une boîte de chocolat noir pour mon anniversaire. À blondinette, elle offre un sweat «blondinette».
Dernière semaine de février. Les déplacements de Laëtitia vont un train de sénateur et le dénouement paraît proche. Chacun de mes chantiers peut-être interrompu à tout moment et je guette mon téléphone y compris à l’autre bout du jardin. Ce sont des moments d’une douce tension, heureuse. Retour à Seyches. Michel veut planter une haie champêtre sur la propriété de ses parents, mais je ne suis pas disponible le lundi, j’ai des salades à planter, des semis de basilic à installer au chaud chez le voisin. Mardi, il pleut un peu, on plante quand même. Puis il pleut carrément, c’est pas une partie de plaisir. La centaine d’arbres repiqués ce-jour-là est récompensée par un poulet rôti, c’est tout ce qu’il me faut.
Mercredi 26 février, au matin. Laëtitia a eu des contractions toute la nuit. À 7h, je m’apprête à décoller pour le marché avec ma récolte mais deux coups de fil à la maternité en décident autrement. Seulement 3h après, la petite Anaïs voit le jour à Villeneuve-sur-Lot, et je ne peux m’empêcher de songer, en soupesant ses 2,8kg d’or pur, à mes 6,5kg d’épinards qui n’iront plus au marché. C’est une journée hors du temps, floutée par l’émotion et la fatigue, dans un lieu étrange et aseptisé, à l’opposé de notre rustique et chaleureux chez-nous. Pendant quelques jours, avant le retour d’Anaïs à la maison, nous dormons tous ensemble à l’hôpital. C’est d’un exotisme total.
Les visites se succèdent au chevet de la maman. Je fais de nombreux allers-retours, puisque à la ferme c’est business as usual, ou presque: il y a les paniers de légumes des clients, les épinards qui trouvent finalement preneurs chez les membres du cours de gym, et je veux planter les dernières pommes de terre primeur avant l’arrivée d’Anaïs chez elle, et le grand inconnu qui se trouve derrière. Dimanche 29 février, on est rentrés. Dans la maison, le thermomètre indique 14°C. Une flambée, vite! Ce faux hiver-là n’est pas fini, il peut encore faire froid. Mais cette nouvelle vie qui commence, elle, réchauffe nos cœurs.