En 2022, on sort du tunnel

Quelques records de températures, une augmentation de la masse salariale, des tomates et des melons indemnes de maladie, le WWOOFing en berne, un nouveau lac d’irrigation, un chiffre d’affaire en hausse… Voici un aperçu des nouvelles, bonnes et mauvaises, de l’année écoulée à la ferme de Videau. Comme cela a été instauré l’hiver dernier sur ce blog, nous faisons une chronique rétrospective de la saison passée, au moment où nous nous apprêtons à démarrer celle à venir sur les chapeaux de roue..

Réserve d’eau chaude

D’abord, et ce n’est pas un scoop, 2022 a été chaud. Le vent d’Autan qui souffle longtemps au mois de mars annonce la couleur, séchant tout sur son passage.. Je suis pressé d’arroser mon jardin dès le mois d’avril par ces conditions anticycloniques inédites. Je cherche à soulager les plantations et aussi me permettre de travailler un sol devenu rapidement trop sec. Hélas, le soi-disant lac qui nous sert de réserve évoque plutôt un trou d’eau chaude et saumâtre: il n’est déjà qu’à la moitié de sa capacité pour des raisons de malfaçon.

Je maudis le sort qui nous a fait rater notre rendez-vous avec un entrepreneur censé reprendre l’ouvrage au mois d’août 2021. Maintenant, il faut attendre l’automne prochain. Et d’ici là, on risque de manquer d’eau pour satisfaire nos gros besoins (je ne parle pas des douches de blondinette). C’est une composante majeure de mon stress: un simple regard à ce lac pathétique, comparé à d’autres belles retenues du voisinage, réveille un sentiment d’injustice. Malgré tous les progrès accomplis, nous restons ceux qui avons raté notre lac.

Sans transition, l’été

En avril, les légumes d’hiver ont définitivement cédé la place. C’était une belle année pour les épinards, les choux et les poireaux. Les laitues d’abri sont arrivées un peu trop tôt (avant la reprise des marchés) mais j’ai pu les vendre en demi-gros à un magasin bio avant qu’elles ne deviennent vraiment monstrueuses. Sous abri aussi, une jolie récolte de radis en fin d’hiver. Ceux semés en avril, en revanche, sont encore petits qu’ils sont déjà immangeables. Ça pique à mort! Sans transition, il fait trop chaud.

Mais un indispensable coup d’œil quotidien aux infographies de Météo France nous sauve du classique piège des gelées tardives. Fin mars, voilà une petite valse de températures nocturnes très négatives. Il faut attendre avant d’installer les légumes d’été, même si on doit se mettre un peu en retard. Je me suis emmêlé les pinceaux dans mon planning: une fois l’alerte gel passée, je me retrouve à planter les tomates d’abri et celles de plein-champ presque en même temps. Y a plus de saisons!

Grosse flemme

Côté coups de main, on fait plus difficilement le plein, la faute au WWOOFing un peu en berne depuis l’apparition du COVID. Notre ami vigneron Jacques Réjalot, très actif dans l’association WWOOF France, me confirme que les statistiques ne sont pas florissantes pour les hôtes. Outre Maxime, notre stagiaire, nous hébergeons à partir du mois d’avril: Ricardo, Benoît, Dusan, Nastasia, Étienne, Sami, Yaya, Nathalie et Didier. Mon beauf s’offre des vacances sans solde au départ de sa Nouvelle-Zélande d’adoption, et vient en renfort de choc au mois de juillet.

Il y a toujours un peu de famille et quelques copains, bien sûr. Mais on se casse les dents sur un planning devenu trop serré: la nounou d’Anaïs nous a planté en juin, et sa remplaçante n’est même pas recrutée. La nounou restante nous dépanne en pointillés. En attendant, Laëtitia doit jongler avec mes horaires impossibles, ses massages à domicile et la garde d’Anaïs. Pour l’entretien des cultures et de plantation, j’ai d’ores et déjà recruté un extra en la personne de Charlotte. On signe des contrats Tesa de 2 ou 3 jours par-ci, par là.

L’un dans l’autre, on arrive quand même à planifier un petit projet bien salissant à l’étage. Les cloisons des chambres sont achevées, mais il nous tarde d’appliquer un enduit de finition en terre sur l’isolant paille. C’est un chantier majoritairement féminin, auquel j’assiste depuis le jardin. Même regardé de près, le résultat est épatant! Ce sera notre seul effort de rénovation. En fin d’année, on confira à un artisan la réalisation des joints placo. La grosse flemme nous guette.

40°C le matin

Concernant la production, je n’ai pas à me plaindre. Les melons sont une réussite, malgré quelques couacs au démarrage sous abri, comme d’habitude, à cause du froid, des limaces, d’un peu de grillure physiologique, et d’un nombre insuffisants de plants du fournisseur. La nouvelle variété hybride que je teste cette année est vraiment super précoce! Comparé à mes collègues, j’arrive enfin à rentrer dans les clous en terme de « temporalité ». En plein champ, c’est encore mieux: les melons sont superbes, juteux, parfumés! J’ai de bon retours, et je sens bien que je fais mon trou au marché.

Hélas, si la canicule record de 2022 est une bénédiction pour les melons qui apprécient le chaud et le sec, les tomates goûtent moins ce genre d’excès. À partir de juillet, le mercure tutoie les 40°C sous abri, malgré le voile d’ombrage. Tout un étage de bouquets floraux ne donne pas de fruit. Certes, on bat d’abord plusieurs records de récolte. Mais en août, et comme chez de nombreux collègues, arrive le creux de la vague: les tomates disparaissent des étals. Finalement, la production repartira et les plants tiendront jusqu’en novembre, faisant plus qu’arrondir le chiffre d’affaire.

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Plein le dos

En août, une semaine de pause à Biscarosse. J’ai le bas du dos en feu, et comme d’habitude une grosse baisse de tension à la perspective de ces quelques jours de relâche, avec son lot d’éruptions: fatigue, fièvre, nausées… L’indéfectible ami Francis me remplace aux récoltes pendant la semaine, et Max assure le marché du mercredi contre un petit billet. 5 jours plus tard, à peine rentrés de la plage, il faut déjà préparer le marché du dimanche. Mon mal de dos se réveille aussi sec et je jure de prendre une vraie semaine l’an prochain.

La sécheresse continue d’apporter son lot d’emmerdes. Prudent, je choisis de ne pas semer pas les betteraves faute de pouvoir préparer le sol, afin d’économiser la réserve d’eau. Je crame plusieurs centaines de poireaux en étalant le chantier de plantation sur trois jours, et en n’arrosant pas tout de suite les premiers rangs. Pour ceux qui restent, la reprise est difficile. Quant au semis de carottes de juin, il est trop clairsemé. Peut-être à cause de la chaleur, d’un compost de déchets verts trop grossier, et sans doute aussi du semoir bas de gamme.

Cent patates

Parmi les grandes leçons de l’année, lesquelles orientent la stratégie de la saison prochaine, il y a la difficulté à planter des pommes de terre au mois de mars-avril, dans un sol pas toujours ressuyé, et à une période chargée en travail. Tout est fait à la main: plantation, buttage, désherbage, lutte contre les doryphores, récolte. Sans tracteur, je ne vaux rien comme patatier. L’an prochain, je ne ferai que de la pomme de terre primeur, sous serre, vendue en début de saison au prix fort et autrement rentable.

Deuxième changement, social celui-là: je deviens officiellement exploitant au yeux de la MSA et je vais cotiser à taux plein. Il ne manque qu’une condition pour décrocher l’aide à l’installation du département: tenir une comptabilité de gestion. Encouragé par quelques collègues, j’adhère à l’AFOCG pour me former, de manière collective et avec d’autres agriculteurs, à cette discipline obscure ou l’on compte aussi en patates. Comme s’il était utile d’avoir encore un peu le cerveau qui fume, ou un planning davantage chargé. Mais je me rassure en pensant que ma petite entreprise en sortira grandie. Et j’ai raison, bien sûr.

C’est qui le patron?

Plus ambitieux encore, nous décidons d’accepter la candidature spontanée d’un apprenti de 19 ans, emballé par notre projet, désireux d’apprendre le métier de maraîcher autrement que dans une grande exploitation. Une aide exceptionnelle votée pendant la pandémie couvre la totalité de son salaire la première année. En lissant les aides sur 2 ans, on obtient un reste à charge de 380€ par mois pour l’employeur. Ce n’est pas rien, et c’est en même temps très peu. On vise bien sûr un gain de production, mais l’idée est d’abord d’économiser du temps pour la famille… et la santé mentale du patron.

Allan, c’est le nom de notre apprenti, démarre à l’automne. Comme il habite loin, on lui installe une vieille mais chic caravane. Maintenant, on est 4 à la maison. Et je profite à fond de l’aubaine. À deux, on abat du boulot. Les journées sont rondement bouclées, on finit à des heures raisonnables. La fin d’année approchant, je peux combler mon retard en matière de paperasse, de compta, et je me paie le luxe de m’impliquer un peu plus dans l’asso du marché bio de Villeneuve-sur-Lot. Pendant ce temps, quand je suis au bureau ou au marché, Allan suit les consignes et parfois même un peu plus. C’est une bonne recrue!

Une caravane pour Allan

Que d’eau, que d’eau

Fin-septembre, c’est enfin le démarrage des travaux de réfection du lac. Je suis obligé d’irriguer à l’eau de ville. Mais le chantier avance vite. Les engins ont vite fait de démolir l’existant, puis étalent minutieusement, couche après couche, une argile bien tassée, pour former une digue qui doit retenir l’eau pour de bon, cette fois-ci. Une semaine après, la messe est dite. C’est un gros trou dans le portefeuille, et un énorme poids qui s’enlève de mes épaules. Il ne reste plus qu’à rebâtir pour la pompe une jolie petite cabane… Et trouver un moyen de remplir rapidement notre bassine neuve, mais parfaitement vide, car il y a toujours des cultures à arroser.

Pour commencer, on va puiser dans le lac d’une ferme en contrebas avec le soutien de quelques voisins, c’est à dire le prêt du matériel nécessaire: une pompe attelée sur prise de force, un tracteur pour la faire tourner, et des tonnes de tuyaux. C’est un peu l’inconnu, pour moi, mais le chantier se déroule sans encombre. Fin septembre, l’eau du lieu-dit La tuilerie monte jusqu’à Videau, par un réseau de 400m de conduites, en passant sous la route communale. Le précieux liquide redescend ensuite par notre propre système d’évacuation des eaux de pluie. Un plein de diesel et 18h plus tard, notre réserve est pleine au tiers… et la nature fera le reste.

Pujols contre Villeneuve

En octobre, j’arrête le fameux marché du dimanche à Pujols (47), où j’avais intégré une petite communauté d’exposants hauts en couleur, soudés devant l’adversité commerciale de ce village touristique bondé en été mais désertique en hiver. Je donne raison à Laëtitia, laquelle jugeait nécessaire que les dimanches en famille deviennent réalité en dehors des congés annuels. Dorénavant, je pose mon étal le samedi matin à Villeneuve-sur-Lot, où je retrouve rapidement mes clients habituels du marché bio. Le chiffre fait un bond. Pujols contre Villeneuve, commercialement, y a pas photo.

À la maison, les travaux de la serre bioclimatique touchent à leur fin. L’ami Benoît, de Bruxelles, avait promis de revenir nous voir à l’issue de son WWOOFing. Fin octobre, il prête main forte aux finitions: on pose des menuiseries de récup, qu’on habille ensuite d’isolant, de bardage et de lambris. Allan est de la partie, bien sûr, entre deux semaines de cours. En décembre, le plus gros est terminé, sauf la chape et les évacuations, mais le maçon attendra que mes semis de janvier aient déménagé à l’extérieur. Et nous, on attend toujours la subvention promise pour ce chantier, presque un an après le lancement.

Un deux trois sommeil

En novembre, Anaïs n’est toujours gardée qu’en pointillés. Sa nounou n’a pas encore été remplacée. Laëtitia doit contracter son planning professionnel, même si le fait de pouvoir se libérer le week-end depuis que j’ai arrêté le marché du dimanche offre des possibilités pour ses prestations. Elle prévoit de rééditer des flyers, car la clientèle se réduit un peu. Elle s’est inscrite à un cours de danse, et va régulièrement au yoga. Anaïs a toujours un sommeil décousu, et sollicite énormément sa maman. Mais à presque 3 ans, elle est espiègle, rigolote et s’exprime déjà très bien. C’est un bonheur de la voir grandir au milieu de notre petit coin de nature.

Hélas, la fin d’année n’est pas aux lendemains qui chantent pour l’agriculture biologique. Le pouvoir d’achat est devenu le sujet numéro un et le marché du samedi, prometteur en novembre, semble d’un coup trop petit aux commerçants qui ont choisi de faire autre chose que du discount. Laëtitia souffre encore de ne pas trouver d’équilibre entre sa vie professionnelle, ses obligations de maman et notre quotidien à la ferme. Il faut sans doute encore revoir la stratégie. Pourtant, je bats mon record de chiffre d’affaire. Et la présence d’Allan nous permet de souffler. On sort du tunnel, mais la route est encore longue!

En mars, ça repart

En 2022 pas de grandes vacances de janvier mais un début d’année plus relax, avec seulement le marché bio du Villeneuve-sur-Lot (mercredi), la plantation de légumes primeurs sous abri, l’installation de deux nouveaux tunnels… et quelques grasses mat’. En février, Laëtitia et moi n’avions plus qu’un seul objectif: terminer l’aménagement de notre chambre à l’étage et du palier, sauf qu’une certaine épidémie nous obligea à nous isoler avec la petite Anaïs et que le chantier n’avança pas très vite. On terminait le montage des cloisons, avec l’aide de notre stagiaire, avant le mois de mars.

En mars c’est la reprise, avec à nouveaux deux marchés hebdomadaires, les paniers du jeudi, et des récoltes en conséquence. Les tunnels sont presque pleins: il y a des épinards et des laitues en pagaille, des radis, des blettes, des navets et du persil. En plein champ, des carottes, des choux verts, des choux-fleur et des poireaux. Je revends des patates et les pommes d’un voisin. Ce printemps sera plus profitable que les précédents, c’est sûr. Par contre, et c’est peut-être la faute du Covid, j’ai du mal à récupérer physiquement. Au fait, je viens de fêter mon 43ème anniversaire. Quel rapport, vous me direz.

Au jardin, c’est le branle-bas de combat. Il faut préparer le terrain pour les plantations de printemps, mais cette terre argileuse qui garde l’humidité de l’hiver complique le planning. Les premiers plants de salade arrivent déjà de chez l’horticulteur, puis viendront un semis de radis, les patates et les tomates de plein champ, etc. Le vent d’autan souffle fort et le thermomètre s’envole. Il fait encore une fois trop chaud pour la saison, mais ça m’arrange: c’est plus séchant. Je passe la grelinette, la campagnole, le croc, parfois le motoculteur. S’il le faut, j’arrose pour ameublir les mottes. Il faut affiner tout ça, et que le sol se réchauffe!

La nuit, il fait bien sûr encore frais et le début avril sonne le retour des gelées. Il faut ressortir les voiles de forçage, couvrir les haricots et les courgettes, ferme les tunnels, calfeutrer la pépinière. Au marché, on se caille les miches, ou on patauge, c’est selon. Laëtitia est au taquet: une prestation tous les jours, ou presque, et même une session de trois jours d’affilée à la ferme de Lou Cornal où toute l’équipe passe à l’huile de massage. Financièrement, là aussi, un bon mois de mars. Heureusement car le règlement des travaux de la serre bioclimatique, dont la subvention arrivera plus tard, nous a mis dans le rouge.

Comme les cordonniers sont les plus mal chaussés, Laëtitia a un mal de dos chronique. Pour elle aussi, la reprise est difficile. Anaïs, pendant ce temps, pète a peu près la forme, sauf quand deux canines se pointent. Quelques semaines plus tard, toujours pas de nouvelle dent à l’horizon, mais encore des épisodes de cris et de pleurs, des nuits sans sommeil. À part ça, on voit du changement tous les jours: le vocabulaire de notre fille s’enrichit et sa curiosité est débordante. Quelques rituels grandissent en importance: la visite aux poules, le trajet chez nounou, les vacances chez les grands-parents… Et même pas besoin d’arroser. À la ferme de Videau, ça pousse tout seul!

Mars 2022, le jardin en images

2021, un bon cru qui nous laisse cuits

Un an déjà, ou presque, que la ferme de Videau n’a pas donné de ses nouvelles. En avril 2021, on laissait tomber l’écriture de notre journal de bord, lassés par le sacrifice de nos rares moments de détente. Nous avions, comme d’habitude, suffisamment fort à faire. On s’est dit qu’un bilan détaillé de notre saison, pour la nouvelle année, ferait l’affaire.

La ferme aux mille visages

Une saison à la ferme, c’est d’abord une foule de visages. Parmi les WWOOFeurs, on a déjà parlé de Damien, arrivé au mois de mars. Après son départ, nous recevons Loris, de Nantes, qui n’a pas compté les pelletées de compost de déchets verts. En juin, nous accueillons trois ingénieurs: Clara, Magali et Adrien font l’expérience du désherbage en pleine chaleur, m’aident aux récoltes et aux plantations, et mettent tout leur talent à la réalisation d’un corps d’enduit en terre pour couvrir l’isolation paille de l’étage de la maison.

En juin-juillet, nous hébergeons Gabriel, mon binôme dans la colossale plantation des poireaux et des choux, et accessoirement expert informatique au secours de nos machines sous Linux. Nathalie et Marion, de passage en août, finalisent le corps d’enduit dans la chambre d’Anaïs et m’accompagnent au jardin et au marché. Andréa prend le relais en septembre. À partir d’octobre, nous pouvons compter sur Maxime, en BPREA à Sainte-Livrade, pour 9 semaines de stage réparties sur l’année scolaire.

Et puis, il y a les amis et la famille. Surtout l’été, il font l’effort de nous rejoindre dans notre cambrousse. Ce sont les copains Vicky et Guillaume, Delphine et Andreas, Lucile et Fred, Frédérique et Cédric. Il y a le frangin, la belle-doche, les petites nièces, parents, beaux-parents. Tous ont, d’une façon ou d’une autre, prêté main forte et participé à nous sortir la tête de l’eau. Les amis d’ici, ils nous aident plus professionnellement encore, puisque ils sont eux-même agriculteurs. Et l’effort qu’ils font pour nous rejoindre a surtout à voir avec leur propre planning chargé!

Grandeur et décadence des légumes

Avant de parler des succès agricoles de la saison écoulée, évoquons les échecs. 2021, c’est d’abord un été pourri avec une forte pression du mildiou. Seulement 125 kg de tomates roma ont été récoltées (pour 200 pieds). Les variétés rosa et huguette, palissées à plat, n’ont quasiment rien donné. En revanche, les variétés ananas et striped german, palissées verticalement sur treillis soudé ont relativement bien résisté.

Les aubergines et les poivrons n’ont que peu produit, la faute sans doute à une météo trop fraîche et une préparation du sol insuffisante: l’irrigation par goutte-à-goutte dans un sol lourd et trop motteux ne profite pas aux racines de la plante et à la minéralisation. Cet hiver, les choux ont tendance à pourrir au champ. Peut-être a-t-il fait trop humide, trop froid? Comme en 2020, presque aucun chou-fleur n’a été récolté.

Dans la rubrique des résultats mitigés il faut citer les oignons au calibre trop petit, mais plantés en quantité suffisante: j’en vends encore aujourd’hui. Idem pour les courges dont le semis direct a un peu souffert des limaces, mais dont le stock a duré jusqu’à la fin janvier. Les pommes de terre filent bien trop vite mais je ne veux pas en produire davantage. Depuis le mois d’octobre, je revends la production d’un collègue de la vallée du Lot.

Ceci dit, le bilan commercial de l’année est plus que positif. Le planning de culture ayant été étoffé, nous avons eu davantage de diversité de légumes, plus longtemps. Sur le marché, j’ai battu mes précédents records de chiffre d’affaire (surtout l’été) et la taille de l’étal s’est maintenue jusqu’à la fin décembre. J’ai eu de beaux melons en plein champ, et c’est dommage qu’ils soient arrivés groupés à maturité, occasionnant beaucoup d’invendus. Net progrès pour les carottes, avec des semis réussis (parmi d’autres plus clairsemés), mais toujours plus de régularité dans la production. Les courgettes ont résisté à l’oïdium. La campagne des épinards est une réussite.

Le principe des paniers de légumes sur commande à retirer à la ferme ne décolle pas: on oscille entre 5 et 10 paniers hebdo, mais la demande se maintient jusqu’en décembre et les paniers sont plus remplis. L’élargissement de la gamme y est évidemment pour quelque chose. De toute façon, le reste du stock est vendu sur les marchés, et une grosse augmentation du nombre de paniers serait difficile à absorber. La situation est satisfaisante.

Innover pour mieux sauter

Comme chaque année, aiguillonné par mes lectures ou mes échanges avec mes collègues maraîchers, je teste de nouveaux itinéraires techniques. La plantation sur paille des pommes de terre, par exemple, a donné de bons résultats, malgré la présence de doryphores, grâce à l’absence des mulots. J’ai essayé le semis direct des courges, ça n’a bien fonctionné que par temps sec, ou alors les limaces faisaient systématiquement le ménage.

Pour la première fois, j’ai planté des patates douces, dont j’avais moi-même produit les boutures. Le rendement est décevant, mais c’est une culture qui ne présente pas de difficultés, à retenter l’an prochain. J’ai pu planter l’ail à la suite des pommes de terre comme prévu, mais ça n’a pas été sans mal: il a fallu pousser l’épaisse couche de paille dans les allées, avant d’épandre du compost de déchets verts. Par contre, c’est sur un paillage de broyat (merci les élagueurs du coin) que j’ai cultivé basilic et persil.

J’ai acheté un semoir monorang: le Earthway. C’est un semoir bon marché qui n’est pas d’une précision folle, mais qui a donné de bons résultats dans le semis direct de betteraves fourragères (pour les copains de Lou Cornal) dans du compost de déchets verts qui ont été arrachées en mai avec succès: pas d’herbe, de la quantité. Le Earthway est très bien pour les radis ou les navets. J’ai fait un semis de carottes très réussi en avril, moins bien en juin, en août et en novembre. Bref, c’est toujours mieux qu’à la main, mais je suis encore en rodage.

À l’automne, je sème à proximité des tunnels un mélange de fleurs destiné à attirer les pollinisateurs au printemps, notamment des prédateurs de pucerons. Et j’investis dans de la bâche d’ensilage neuve pour l’occultation de parties entières du jardin pendant l’hiver qui ainsi ne subiront pas le lessivage et le tassement liés aux intempéries.

Enfin, nous avons des poules! C’était la moindre des choses que de produire nos œufs comme presque tout le monde à la campagne, mais les conditions n’étaient pas réunies, à savoir: un abri digne de ce nom avec perchoir et une clôture électrique. Les poules ont d’abord séjourné dans le carré des patates, puis nous avons déplacé la clôture selon nos besoins. On a l’espoir qu’elles nous débarrassent des parasites du sol. Au moins, elles maîtrisent l’herbe.

On reste ouverts pendant les travaux

En 2021, les travaux n’arrêtèrent pas. Mais on a échoué à boucler complètement ceux de l’étage de la maison. Les enduits de la chambre d’Anaïs ne sont pas achevés. Seule la salle de bain est terminée, à un détail près: un corps d’enduit en terre et paille a été appliqué sur l’isolation mais il reste à faire l’enduit de finition, pas avant le printemps 2022. À l’heure où je vous parle, nous attaquons l’aménagement de la deuxième chambre: électricité, cloisons, isolation du mur ouest.

Le petit tunnel-pépinière aménagé en mars a rempli son office. D’abord en accueillant les semis précoces d’oignons, puis ceux des légumes de plein champ que je fais moi-même, parfois comme espace de transit des plants achetés chez un horticulteur. Tout près, l’essaim d’abeilles sauvages qui vit dans le grand chêne a été «aspiré» dans une ruche placée à côté par l’ami Colin. L’accès à l’ancienne ruche dans le chêne a été colmaté. Des abeilles sauvages dans son jardin, c’est une chance. Mais beaucoup trop de nos visiteurs se sont fait agresser sans raison.

La vraie grande nouveauté, la voici: les travaux de transformation de l’auvent de la maison en serre bioclimatique, démarrés en octobre. Nous bénéficions d’une subvention de la région (une tiers du montant TTC des travaux), il ne restait plus qu’à attendre l’arrivée des artisans. Trois phases: démolition de l’existant, coulage d’une dalle béton sur un isolant de récup’, charpente et couverture en polycarbonate. On en a profité pour demander au maçon de créer une ouverture dans le mur de la chambre du rez-de-chaussée qui communique avec la nouvelle serre. Deux phases supplémentaires sont prévues en auto-construction: pose de menuiseries de récup’ et isolation sous toiture. Le chantier sera vraisemblablement achevé au printemps 2022. En attendant, quel changement!

Enfin, nous avons presque terminé l’aménagement de deux nouveaux tunnels, ce qui porte leur nombre à 8. Mais la surface cultivée ne change pas. Ces tunnels étaient auparavant divisés en 4 planches de culture, mais j’ai changé pour 3 planches seulement, à grand coup de pelle et de houe (avec l’aide de Maxime). L’objectif: en décollant les planches extérieures du bord de la serre, on évite que l’eau ruisselant sur la bâche se retrouve dans les cultures. Surélevées, ces 3 planches sont à l’abri de l’excès d’eau et c’est aussi plus confortable pour travailler.

Et le bien-être dans tout ça?

Pour Laëtitia, l’année 2021 est celle de la reprise. Elle a intégré une «maison du bien-être» à Pinel-Hauterive mais les rendez-vous y sont assez anecdotiques. À domicile, par contre, les affaires reprennent et plutôt bien. Laëtitia se reconstitue sûrement une clientèle. En décembre, les bons-cadeaux partent comme des petits pains.

Pour la première fois, nous prenons une semaine de vacances en août (dans le Béarn). Merci à l’ami Francis qui s’est porté volontaire pour assurer le remplacement: irrigation, récoltes et stockage dans une chambre froide dégotée pour l’occasion. Nous bloquons une autre semaine en octobre à Biscarosse. Je saute le marché bio de Villeneuve-sur-Lot deux jours avant Noël pour les vacances en famille. Exceptionnellement, histoire de récupérer quelques week-ends en famille, j’arrête le marché de Pujols en janvier-février.

Bien sûr, on a fait la fête. Le 14 juillet a eu lieu une édition spéciale du marché bio de Villeneuve-sur-Lot, et j’ai cuisiné quelques petits plats en même temps que mes collègues. Pour le marché gourmand de Villebramar, on a préparé des spécialités végétariennes mais c’était beaucoup d’énergie dépensée pour pas grand chose: les visiteurs ont préféré les magrets de canard. Dans l’été nous participons à la création de l’association Les pot’s en culture avec les copains du voisinage. L’asso accueille un festival itinérant («Culture cultures») et organise les «contes dans la nuit» un samedi soir d’octobre au golf de Tombebœuf. Par contre, le COVID a eu raison de la plupart de nos soirées d’hiver entre amis.

La petite Anaïs aura deux ans en février 2022. Les nuits sont toujours difficiles, et le moindre changement de routine, comme les départs en vacances, ruinent les progrès accomplis. Mais bien sûr notre petit bout n’en finit pas de grandir et de s’épanouir. Elle aime follement ses livres et griffonne de plus en plus. En dehors de la crèche, son quotidien est celui d’une fille de la campagne: on nourrit les poules, on collecte les œufs, on mange les fraises directement au champ. Anaïs tire la queue du chat, rend visite aux vaches d’une ferme voisine. Et tous les jours, des mots nouveaux.

Pour résumer, 2021 ne fut pas encore une année pépère. La maison reste un chantier permanent, et jongler entre nos emplois du temps et la vie de famille, surtout l’été, nous a laissé complètement cuits. Jusqu’à l’hiver, nous avons heureusement été épargnés par le COVID peu présent en Nouvelle-Aquitaine. Nos visiteurs ont apporté leur pierre à l’édifice et de grandes avancées ont été faites, tandis que notre modèle agricole se confirme malgré les aléas. Un bon cru, finalement. N’empêche, la route reste longue. 2022 ne sera pas pépère non plus!

WWOOFeur à la guitare - Ferme de Videau

Et ça continue, encore et encore…

Du 1er janvier au 31 mars

Depuis la dernière chronique, quelques semaines de vacances se sont écoulées. Une vraie grosse coupure, ça veut dire ne pas mettre le pied au jardin, ne pas se rendre au marché, ne prendre aucun rendez-vous d’aucune sorte, laisser tous les chantiers en plan. Objectif: se métamorphoser en moule de bouchot. La reprise sera détendue ou ne sera pas. Mais passées les deux semaines réglementaires en famille, loin de la ferme, il faut se replonger dans les petits tracas du quotidien. La grosse coupure se mue en vacances utiles… car on a une salle de bains et une chambre à finir! À part ça, même programme qu’il y a un an: la saison qui redémarre avec un confinement. Ça continue, encore et encore.

En Provence, on a pu mettre les pieds sous la table, se laisser dorloter. Mais la petite Anaïs ne l’entendait pas de cette oreille, et ce bonheur en tranche fut émietté par quelques nuits sans sommeil. En prime, je chopais les crève et d’autres infections hivernales. La preuve que même sans coronavirus, on peut réussir sa chute de pression annuelle. À notre retour, le 12 janvier, on découvre que le mercure est descendu jusqu’à -7°C. Dans la baraque, il fait 5°C. On bourre le poêle. Si Anaïs n’avait pas été inflammable, on l’aurait posée dessus pour la réchauffer. Je frémis en me rappelant que j’ai oublié de vidanger la pompe d’irrigation avant notre départ. Heureusement, pas de casse.

Travaux salle de bains - Ferme de Videau
Il manque un truc, non?

Les travaux de la salle de bain reprennent. On achève la cloison entre les deux chambres, je finis de passer les gaines électriques. On enduit, on ponce, on peint avec une laque couleur vert d’eau 100% naturelle. Il faut dénicher un robinet et un lavabo neufs, puisque les occasions ne nous disent rien qui vaille. J’attaque le tablier de la baignoire, constitué de lames de lambris sur une structure en lambourdes, et le meuble du lavabo. Du sur-mesure, mieux que chez Lapeyre, et moins cher. On fait venir un plombier parce qu’on est des billes, et on a bien fait: c’est un peu plus sorcier que prévu. Comme ça, pas de risque de fuites. On est à l’étage, hein, et l’entresol rempli de ouate de cellulose est tout sauf étanche!

Laëtitia rencontre Marion, laquelle est sur le point d’ouvrir une maison du bien-être à Pinel-Hauterive (47). La chose est entendue: une journée de massages en location par semaine, toute l’année. On convient de faire des photos, des vidéos, un flyer, etc. Le même jour, Laëtitia se rend à Eymet (24) pour un massage. Et pendant ce temps, Anaïs fait sa rentrée à la crèche, et tout s’y passe à merveille. C’est tout le contraire à la maison, où les journées sont difficiles et les nuits encore pires. Mais on est pas rancuniers contre les gosses en général puisque on en invite sept de plus (avec leurs parents) pour la raclette du dimanche. Pas très légal, par les temps qui courent.

Étal au marché de Pujols en février - Ferme de Videau
Retour au marché de Pujols

La première semaine de février, il pleut des seaux. La Garonne monte à plus de 10m, et fait la une des informations. Notre petite exploitation de coteaux ne craint pas l’inondation, mais n’est plus qu’un champ de boue. On avait dit qu’on aurait terminé le chantier à l’étage avant la reprise de la saison de maraîchage, c’est raté. Je repousse quand même mon retour au marché bio de Villeneuve-sur-Lot d’une semaine et dans une dernière ligne droite on peut se consacrer aux finitions de la salle de bains: lambris, dernières couches de peinture et de vitrificateur (écologiques), joints silicones. C’est beau! Le dimanche, je me remets dans le bain au marché de Pujols.

Lundi 8 février, c’est le retour d’Aurore, notre stagiaire en BPREA. Pendant que Laëtitia et moi on boucle le chantier de l’étage, elle se tape le sale boulot: désherbage (des fraises, des bords de serre), nettoyage des tunnels (notamment choux pointus qui ont pourri pendant l’hiver). Aurore m’accompagne au marché, puis on démarre le montage d’une petite pépinière. Il faut installer des amarres dans le sol, acheminer des arceaux depuis le bas du terrain. À cause du vent, je repousse la pose de la bâche… Alors on plante les pommes de terre primeur sous tunnel et les patates douces dans du terreau. Dans un bon mois, je pourrai bouturer ces dernières en godet. La pépinière sera vite amortie!

Après passage de rotavator précédent sorgho - Ferme de Videau
Avant la plantation de patates primeur

Vacances scolaires oblige, Anaïs est à la maison. Et c’est pas de la tarte. Mademoiselle boude tout ce qu’on lui offre à manger, et chaque cuillerée de yaourt doit être savamment négociée. La nuit, c’est la fête à toute heure. Laëtitia commence à craquer pour de bon. Dehors, le vent d’autan ne faiblit pas. Chaud et turbulent, il sèche tout sur son passage. D’un extrême à l’autre: les précipitations d’il y a deux semaines ne sont plus qu’un souvenir. L’argile, de l’état de boue, évolue directement à celui du béton. Le week-end, enfin, arrive l’accalmie. Ainsi que mon cousin David, accompagné de Fanny, pour quelques jours. Ouf, on va pouvoir se changer les idées.

Le 22 février, David m’aide à remettre en place la bâche des tunnels des fraises, que le vent a emporté. Laëtitia partage son temps entre les courses (graines chez un collègue, matériel agricole…), la dépose de flyers et les massages. Fanny fait la cuisine. Toujours avec David, on installe une première, puis une deuxième couche de plastique pour couvrir la nouvelle pépinière. Cette double paroi représente un gain d’effet de serre. À défaut de véritable chauffage dans l’abri, une telle technique devrait permettre de gagner quelques degrés supplémentaires. En cas de températures nocturnes négatives, je disposerai des voiles de forçage et autres couches de plastique de fortune au dessus des caisses de semis.

Pépinière en construction - Ferme de Videau
Pépinière en construction

Après Fanny et David, nous avons la visite des parents de Laëtitia pour le week-end. Le 26 février a lieu un événement de taille dans la jeune histoire de la ferme de Videau: c’est le premier anniversaire d’Anaïs! Papy a fabriqué de ses propres mains une «tour d’observation Montessori» en bois, sur laquelle notre gosse pourra tenir debout et assister à tout ce qui se passe sur le plan de travail de la cuisine. Tous les trucs pour la distraire sont bons à prendre, hein, et ça fera autant de cuillerées de yaourt en plus qu’on n’aura pas besoin de négocier. Le dimanche, on achève le montage de la pépinière avec Laëtitia, et on rend visite au voisin Yves, qui ne nous a pas beaucoup vus depuis le début de l’année.

Le 1er mars, je trouve le temps de poncer la première couche d’enduit entre les plaques de plâtre de la chambre d’Anaïs. Contrairement à la salle de bain, rien n’est encore vraiment fini, même si la chambre est occupée. Le soir, avant le couchage de la petite, il faut ranger le matériel, tout nettoyer, passer l’aspirateur. Les journées de travail sont donc courtes. Le lendemain, c’est pour Laëtitia sa première journée à la nouvelle maison du bien-être de Pinel-Hauterive (47), où deux clientes ont réservé un massage complet. Le mercredi, autre rendez-vous du côté de Cancon (47). Et encore un le vendredi, à Eymet (24). Laëtitia reçoit elle-même une séance énergétique. Le bien-être a la côte.

Arrosage des laitues - Ferme de Videau
Damien arrose les laitues

Cette première semaine de mars est marquée par l’arrivée de Damien, un WWOOFeur déjà passé par chez nous, et apparemment pas rancunier. Parfait, on ne manque pas de boulot: dans la même semaine, on sème les fleurs, les tomates de plein champ, les oignons, les physalis, le basilic et les radis, on plante les laitues, les sucrines et les betteraves. Damien passe la grelinette, il adore ça. Je prépare les planches sous les tunnels, souvent avec le motoculteur. Et à nouveau, trois récoltes par semaine, les deux marchés et la vente de paniers à emporter. On arrive quand même à faire un peu de bois à Seyches (47), mais on y rate le déjeuner.

Le samedi, on ne rate pas l’autre déjeuner, celui qui clôture la taille de la vigne du voisin Yves. Il n’y a que quelques rangs, mais Damien y apprend la technique de base auprès de notre doyen, pendant que je perfectionne les miennes. Le lendemain, dimanche 7 mars, l’Expert est en panne et je me rends au marché de Pujols avec un tout petit fourgon de prêt. Heureusement, j’ai peu de marchandise. Maintenant que j’ai écoulé choux et poireaux, mon étal s’est réduit comme peau de chagrin, tandis que celui des revendeurs pète la forme. Il faut dire que j’ai raté beaucoup de mes salades, complètement les blettes, et que les épinards restent un peu chétifs. Saison creuse ou pas, je ferai mieux l’an prochain.

Taille de la vigne - Ferme de Videau
Petite leçon de taille de la vigne

Avec Damien, on entre à fond dans la saison. Il faut épandre du fumier de vache (avant la plantation des tomates et concombres), passer la grelinette à peu près partout, biner l’ail, palisser les fèves, poser paillages plastiques et irrigation… Aurore est bientôt de retour. Ensemble, ils vont repiquer les fleurs et les tomates, déplacer des petits arceaux, désherber… Et m’assister dans l’installation, tout juste improvisée, de deux nouveaux tunnels de 25m. C’est que les bords de serre, où s’accumule l’eau de pluie qui coule de la bâche, restent trop longtemps inexploitables car trop humides à la fin de l’hiver. Ils doivent être supprimés. De quatre planches par tunnels, je dois passer à trois. Et donc ajouter de nouveaux tunnels pour maintenir la surface cultivable.

La pépinière, elle, est achevée. Avec beaucoup de récup’: plusieurs couches de polystyrène pêchées chez le voisin feront une longue table basse isolante pour semis et plants, des fûts de 200 L remplis d’eau et peints en noir apporteront un peu d’inertie. Aussitôt terminé, l’abri est aussitôt rempli. Tiens, au fait, on attend toujours des nouvelles de la demande de subvention pour notre projet de serre bioclimatique accolée à la maison. L’an prochain, c’est évident qu’une seule pépinière ne suffira pas. Notre copine Alex a l’habitude de fumer sa clope sous l’auvent délabré de la maison, à l’emplacement de cette future véranda. Nous y tombons nez à nez avec un triton marbré. Si les tulipes d’Agen disparaissent un jour à cause du réchauffement climatique, ce sera lui notre mascotte.

Serre de laitues et épinards - Ferme de Videau
Quatre planches par tunnels, c’est trop

À la mi-mars, Anaïs connaît une poussée de fièvre sans précédent, et doit rester à la maison. Diagnostic après 48h: de nouvelles dents qui arrivent. Les nuits sont plus agitées que jamais, mais le jour, notre fille enchaîne des siestes record. Paperasse, lessive, ménage, chauffage, entretien de la ferme, travaux à l’étage… tout prend du retard. Pour ne rien arranger, le motoculteur tombe (encore) en panne. Et la saison de maraîchage n’en est qu’à ses balbutiements! Heureusement, Damien aime toujours autant manier la grelinette, et j’ai pu consacrer une journée de plus aux joints placo de la chambre d’Anaïs. J’avance même un peu sur le nouveau site web du marché bio de Villeneuve-sur-Lot. C’est toujours ça de fait. Puis de nouveaux plants arrivent de chez l’horticulteur. Il va falloir mettre les bouchées doubles!

Lundi 22 mars, pendant que je charge chez le voisin Pépito des boules de paille pour couvrir la plantation de patates, Damien et Laëtitia font un grand ménage sous le hangar en prévision de la journée des tulipes d’Agen. Cette année, la fête annuelle pousse des ramifications à la ferme avec l’inauguration du numéro 7 de la revue Le Citron qui nous est entièrement consacré. On s’en félicite, mais il va falloir faire propre: passage de débroussailleuse, installation d’écriteaux. À part ça, il faut planter des tomates, des courgettes, des concombres, des betteraves, des melons et des laitues. La maigreur des récoltes devient une aubaine, on peut se concentrer sur la saison qui vient. Laëtitia a quelques rendez-vous, et aussi une prestation de massages assis en entreprise toute la journée du jeudi.

Journée des tulipes 2021 - Ferme de Videau
Présentation de la ferme pendant la journée des tulipes (photo CEDP)

Le samedi 27 mars, la journée des tulipes bat un record de fréquentation, bien relayé par la presse et peut-être un peu aussi par mon passage éclair sur radio 4. Myriam Goulette est venue présenter la revue Le Citron, et Jacques Réjalot (c’est un copain du marché bio de Villeneuve-sur-Lot) ses vins de Buzet. Pour les adhérents du CEDP, je fais une petite présentation de notre projet agro-touristique. Beaucoup d’encouragements et de mots aimables en retour. Mais on ne se relâche pas pour autant et le soir-même, toute les boules de paille acheminées depuis le village voisin ont finalement été déroulées sur la parcelle des pommes de terre. Le lendemain, c’est dimanche, mais il n’y a plus de dimanches qui tiennent: après le marché, on commence la plantation des patates.

Ces patates plantées avant la fin du mois de mars, c’est déjà en soi une bonne nouvelle. Mais quand le moteur du motoculteur démarre à nouveau, on en ferait presque la fête. Le lundi, je retrouve mes collègues au grand raout des maraîchers petite surface (le premier de l’année) et c’est une journée d’échange traditionnellement si riche et excitante que j’en sors davantage fatigué que d’une journée de boulot. Laëtitia et moi sommes plus ou moins enrhumés, sans doute un germe issu de la crèche, comme d’habitude. À moins que ce ne soit… le COVID? Damien, notre WWOOFeur de mars, n’a aucun symptôme. Il s’apprête à quitter la ferme en pleine troisième vague, car voilà que ça continue, encore. À nouveau, le confinement.

Chats de la ferme - Ferme de Videau

Dernière récolte avant l'autoroute

Du 1er novembre au 31 décembre 2020

La France est repartie pour un tour dans le confinement. Comme la fois précédente, on ne sait pas trop à quelle sauce on va être mangés, mais les marchés alimentaires sont maintenus et cela contribue définitivement à faire de nous, les bouseux, de nouveaux privilégiés. Franchement, que nos vacances annuelles en famille soient annulées est la seule chose qui nous inquiète. On voudrait bien s’échapper un peu du quotidien: les dernières récoltes dans le froid, la planification de la saison prochaine, le chantier à l’étage… ça devient vital. Et puis, la petite Anaïs n’a pas beaucoup côtoyé ses aïeux. Du coup, on prie pour que les autoroutes restent ouvertes et on s’emploie à boucler le programme… et quel programme!

Ça va barder avec Papy

Damien, le dernier WWOOFeur de l’année, est reparti. En renfort, il y a toujours les parents de Laëtitia. François installe un bardage sur le mur ouest des toilettes sèches du jardin, dont l’enduit à la chaux d’origine a été grignoté par les intempéries. Avec Laëtitia, il prolonge une contre-cloison en plaques de plâtre à l’étage. Se charge des voyages au magasin de matériaux. Aménage un regard d’irrigation avec des bambous. Marie-Madeleine s’occupe de sa petite fille, qui a appris à danser au son de la boîte à musique. Anaïs pleure souvent et dort beaucoup. Elle grandit, et sans doute que les premières dents arrivent. La veille du départ de Papy et Manoue, le 4 novembre, on décrète une raclette-party en famille avec le fromage des copains de Lou Cornal.

Pose d'un bardage bois - Ferme de Videau
Ça barde!

Au jardin, la saison n’est pas finie, loin s’en faut. Il faut planter en urgence les dernières mottes d’épinards qui attendent depuis trop longtemps. Je fais presque aussitôt une pulvérisation d’un mélange lithotamme/cuivre/soufre car les feuilles présentent des traces d’oïdium. Je plante 600 laitues d’abri sur un tapis de compost de déchets verts. Je passe le rotavator dans les tunnels, ou la campagnole en plein champ, en prévision d’un semis d’engrais vert sur les planches inoccupées. Le sol ne ressuie pas assez vite maintenant qu’il fait froid, et c’est encore un peu humide. Mais si j’attends encore il fera encore plus froid, trop tard pour semer. Je récolte aussi les premiers radis, les premiers navets, des salades frisées, des blettes, de beaux bouquets de persil. Hélas, les deux premiers marchés post-reconfinement à Pujols sont presque déserts, et ça caille!

Des stagiaires qui ont la patate

Le 9 novembre, c’est le retour d’Aurore, ma stagiaire de BPREA, accompagnée de son mari cuisinier qui tourne en rond à la maison. Des bras en plus, c’est pas du luxe. Je leur confie l’arrachage des poivrons et des aubergines, l’installation de petits tunnels nantais, le maniement de la campagnole et de la grelinette dans les tunnels (d’autres planches à préparer en vue du semis d’engrais vert et de carottes). Ils trient les pommes de terre et les graines de fleurs, épandent du compost de déchets vert, vérifient la tension des cordages des serres, font un grand rangement dans le matériel éparpillé sur la ferme. Une semaine au vert comme les autres, quoi. Le jeudi, je peux m’absenter en toute confiance pour une réunion de notre petit groupe de maraîchers: on organise notre première commande groupée de semences, et ça promet d’être un vrai casse-tête.

Menuiseries de récup' - Ferme de Videau
Menuiseries de récup’

Laëtitia se déplace pour un double massage bien-être. Les jours où Anaïs est à la crèche, elle avance sur la paperasse. Il y en a toujours: nos déclarations trimestrielles de chiffre d’affaire ; des questions d’assurance à régler ; le remplacement de la machine à laver qui a succombé à un orage ; la recherche de fenêtres de récup’ auprès des menuisiers… De mon côté, je renvoie au charpentier un plan d’élévation plus détaillé du projet de serre bioclimatique. Je mets en page un flyer de soutien aux collègues producteurs et commerçants «non-essentiels» que le confinement a privé de marché. Je complète un formulaire de cessation d’activité. Désormais, je ne suis plus graphiste, mais seulement agriculteur. Tiens, au fait, le téléphone sonne: c’est un éleveur du voisinage qui demande son chemin pour la livraison de 12 tonnes de fumier de vache.

Le réchauffement, c’est maintenant

L’après-midi du 18 novembre, le soleil brille et le thermomètre indique 20°C. Anaïs est promenée par sa mère, en compagnie de la voisine et son fils, qui a le même âge. Voilà les enfants du réchauffement climatique. Et pendant que Laëtitia se rend chez la coiffeuse, en toute illégalité, au marché on distribue mes flyers qui vantent les mérites du «click & collect». Dans cette ambiance bizarre, tout le monde navigue à vue. Mais les échos du confinement en ville nous font savourer notre nouvelle vie, malgré ses déboires. On ne va pas s’arrêter de faire des projet pour le lendemain. On exhume d’ailleurs les plans du futur aménagement de la grange, pour y concrétiser de nouvelles idées: une rampe en bois pour accéder à la mezzanine, un espace bureau, un cellier isolé pour stocker les légumes, sur terre battue afin de conserver l’inertie, etc.

Navets violet et boule d'or - Ferme de Videau
Des navets trois fois par semaine

Le lendemain, avec Laëtitia, on sème l’engrais vert, un mélange vesce-seigle-féverole qui couvrira le sol tout l’hiver avec plusieurs objectifs: protéger la vie du sol, limiter le lessivage par les intempéries, améliorer la structure avec le développement racinaire, augmenter le taux de matière organique… On sème aussi les fèves et les petits pois dans les tunnels, à la main, qu’on recouvre d’une belle couche de compost de déchets verts. Les premières gelées sont enfin là. Les jours de récolte, 3 fois par semaine, je ne mets pas le nez dehors avant 9h à cause du froid. Il faut aussi préparer les planches qui recevront les dernières plantations de salades, et l’ultime semis de carottes. Je passe le croc, je charrie du compost, j’épands de l’engrais… On pensait profiter de la fin de saison pour avancer sur nos travaux, mais le jardin ne me laisse pas encore beaucoup de repos!

Labour, gloire et beauté

Le 26 novembre, Anaïs a 9 mois. L’un dans l’autre, sa chambre et la nouvelle salle de bain prennent doucement forme à l’étage. Un autre chantier se profile: il s’agit de poser de la volige pour retenir les plaques d’isolant du futur gîte, vieilles de deux ans, qui n’en finissent pas de se casser la gueule. On n’a pas le temps, un charpentier est appelé pour estimer le coût du chantier. Il faut dégager cet espace, passablement encombré. Puis le voisin Garonnais, sur son tracteur Fiat, vient décompacter deux parcelles en friche où je planterai des patates douces et des courges. Le lendemain, je me rends à une formation sur les mycorhizes: ces associations bénéfiques entre un champignon et de nombreuses plantes, dont bien sûr nos espèces cultivées, tissent un réseau tentaculaire mais fragile, que le moindre labour anéantit. Morale de la journée: protégeons-les!

Cloison et gaines électriques - Ferme de Videau
Elle est pas chouette, notre salle de bain?

Yves, notre papy national, a perdu la chienne dont lui avait fait cadeau son aide à domicile. Elle s’est probablement enfuie à la poursuite d’épagneuls de chasse. Pour notre voisin c’est un deuxième coup dur. La solitude lui pèse depuis la mort de son vieil Oscar. Avec notre arrivée à la ferme de Videau, il y a maintenant de la présence dans le voisinage, qui rassure Yves et ramène un peu de la vie d’autrefois. Mais il faut avouer qu’en cette tumultueuse année 2020, nous n’avons pas très souvent cogné à sa porte. Le 30 novembre, équipé de ma seule pelle, je passe la journée à prolonger une quinzaine de buttes, créées l’an passé mais limitées à 20 m. Le soir, on fête les 35 ans de Laëtitia. À table, il y a du foie gras et un Thézac-Perricard blanc doux (domaine de Lancement), ramenés du marché. J’ai fait un gâteau aux kiwis.

En décembre, on déménage

Décembre, c’est la dernière ligne droite avant la pause. Laëtitia fréquente les magasins de matériaux et les menuisiers, chez qui on peut récupérer gratuitement des ouvrants de fenêtre en bois d’occasion. On consolide un peu l’isolation dans le futur gîte et on tire une gaine électrique en attente, avant l’intervention du charpentier pour la pose de volige. L’étage de la maison est sans dessus-dessous: il faut déménager les couchages avant de monter de nouvelles cloisons. Un vœu pieux: on doit boucler les travaux de la salle de bain avant Noël. Tu parles. Ça avance, mais je n’ai pas encore fini au jardin. Le 3 décembre, je dois à nouveau planter 600 salades, puis semer les dernières carottes. Les récoltes mobilisent toujours trois demi-journées par semaine (les épinards, c’est long!). Je décide d’arrêter le marché bio de Villeneuve-sur-Lot et les paniers à la ferme à partir de la mi-décembre.

Laëtitia bosse sa com’: nouveaux tarifs, nouveaux flyers… nouveau client hebdomadaire, pour un massage tous les mercredis. Quelques bons cadeaux. Elle se perfectionne en matière de yaourts maison. Sans machine, dans une cocotte-minute entourée de couvertures. Une fois par semaine, on rentre du bois pour le poêle, qu’on ne laisse guère s’éteindre que la nuit. C’est donc au chaud que je potasse ma planification de cultures pour la saison prochaine en prévision de la commande groupée de semences entre collègues. Le dimanche 13 décembre, c’est marché de Noël à Pujols. J’ai préparé des croquants aux amandes, et déballé des pots de confitures, des bocaux de tomates et de piments, en plus de l’ordinaire. Il y a un peu de monde mais les étals de frais ne font pas de bonnes boutiques de Noël. Je poireaute la journée entière en plein courant d’air pour un résultat minable.

Tableau de commande groupée de semences - Ferme de Videau
Excel, l’ami du jardinier

Le père Noël est aussi passé à la crèche. Anaïs était terrorisée. Le 20 décembre, les parents de Laëtitia débarquent pour les fêtes. On met les bouchées doubles à l’étage: 4 cm de laine de bois (pour l’isolation phonique) entre deux plaques de plâtre font office de cloison, on commence les enduits. Mais il faut penser au gueuleton! Quelques courses, et en cuisine: crustacés, anchoïade, lièvre en civet, bûche maison tout praliné. Le jour J, une visite chez notre voisin pour l’apéro se transforme en invitation à dîner. Yves passe donc le réveillon chez nous, plutôt que seul chez lui, et la conversation roule sur le passé qui ne reviendra plus. Quelques jours plus tard, mes beaux-parents ont filé. J’ai fait un peu de désherbage, achevé la commande groupée de semences. Laëtitia a bouclé les valises, et les affaires d’Anaïs occupent les deux tiers du coffre de la voiture. Le couvre-feu est toujours de rigueur, mais les routes sont libres.

Milledieu! C’est les vacances.

Prairie d'été - Ferme de Videau

La saison démasquée

Du 27 juillet au 31 octobre

Cette deuxième saison à la ferme de Videau n’a pas été plus intense que la précédente. Compte tenu du gain de surface cultivée, d’ambitions commerciales encore plus affichées et surtout, de la gestion d’un bébé de quelques mois parfois fâché avec le marchand de sable, elle a été DEUX FOIS plus intense! Les WWOOFeurs qui se sont succédé n’ont pas démérité, les efforts ont été récompensés par une clientèle désormais fidèle, les chantiers ont, tant bien que mal, progressé. Il n’y a qu’ici qu’on n’écrivait plus. Voilà donc la session de rattrapage. Un résumé bien garni, un concentré de sueur. Une saison d’enfer. Laquelle, avec le reconfinement, sonne finalement comme un doux souvenir de liberté.

Puces, moustiques et tripates

La dernière semaine de juillet marque l’acclimatation des «tripates», trois jeunes scoutes reconverties en WWOOFeuses pour cause de fermeture des frontières, et d’Annabelle, une amie rencontrée au Vietnam deux ans plus tôt. Première mission, type ménagère de 50 ans: un nettoyage à la vapeur du linge, tapis et coussins suspectés de contenir des puces. Les chats sont définitivement bannis de la maison. Mais les piqûres de notre petite Anaïs (5 mois) sont tout compte fait celles de moustiques. Comme il fait beau, on sort rapidement prendre l’air. Il faut arracher les fraises car je veux en replanter pour le printemps prochain dans de meilleurs conditions que l’année précédente. Ensuite on plante une série d’environ 400 choux (blancs, rouges et verts), jusqu’à la tombée de la nuit. Un vrai baptême du feu!

Tomates plein champ - Ferme de Videau
Tomates de plein champ avant la récolte

Machine jetable, couches lavables

Bien sûr, les récoltes se succèdent au rythme de trois fois par semaine, comme d’habitude, avec un planning chargé. Gabrielle, Solenn, Victoire (les «tripates») courbent l’échine dans les haricots verts. Annabelle passe des heures à composer des bouquets d’aromatiques. C’est le métier qui rentre. Mais le premier week-end, c’est déjà détente. Le temps de couvrir les choux d’un filet anti-insectes (du genre altises, aleurodes et autres chenilles) et je rejoins la bande à la fête de Cabicoulx, une ferme voisine qui produit des glaces au lait de chèvre. Seul bémol de la semaine, un violent orage met hors service le lave-linge et l’inter diff’ de la salle de bains. On attend l’électricien avec fébrilité. Ouf de soulagement, notre voisin Yves accepte de nous prêter sa machine, et les couches lavables d’Anaïs échappent à un sombre destin.

Chefs à domicile

Le lundi 1er août, c’est l’arrivé de Clément, le beau-cousin de Laëtitia, celui par lequel tout (ou presque) a commencé. Ancien maraîcher bio, Clément m’avait embauché en 2015 comme ouvrier agricole: l’exact point de départ de ma reconversion. Aujourd’hui, Clément n’est plus mon chef mais me remplace avantageusement au jardin. J’ai d’autres soucis, car le marché gourmand de Villebramar a lieu la semaine prochaine et il nous faut un menu végétalien. Mon cousin Charles fait une visite à l’improviste qui tient du miracle. En sa qualité de chef, il m’initie aux gnocchis de pommes de terre, dans les règles. Pendant ce temps, Clément dirige les filles: il faut butter les poireaux, les couvrir d’un filet anti-insectes. Puis arracher les courgettes et concombres malades, épandre du compost et passer la campagnole. La famille, c’est sacrément pratique.

Buttage des poireaux - Ferme de Videau
Après le buttage des poireaux

Le grand manège des WWOOFeurs

Clément achève la cabane à moutons que j’avais laissé en plan, même si je doute que des ovins rejoindront la ferme cette année. On n’a ni enclos, ni poste électrique, et pas le cœur ni le temps de s’occuper de tout ça. On éclaircit les carottes et les betteraves. On récolte, on lave, on pèse et on charge les légumes. À tour de rôle, les filles se succèdent au marché et jouent les baby-sitters. Elles sont trop chou, ces tripates. Quand vient le moment de se quitter, on a l’impression d’avoir traversé une saison complète avec elles… en seulement deux semaines. Mille trips avec les tripates! Las, la roue tourne. Et de nouveaux invités de marque poussent les précédents. Les scoutes s’envolent, Annabelle reste encore un peu. Puis débarquent d’autres ex-WWOOFeurs du cœur: Christelle et Vincent (avec un épatant projet près de Nancy), l’indéfectible Alex de Périgueux, les néo-Dordognais Flo et Ophélia.

Cauchemar en cuisine

Les deux derniers ont été appelés en renfort en vue du marché gourmand. On a fait des essais plutôt concluants de terrine de carotte végétalienne et de gnocchis au basilic. Il faut récolter en conséquence. Louer une remorque frigo. Le mardi, on squatte la cuisine municipale et son piano de cuisson jusqu’à minuit. Le lendemain, le 12 août, est une journée marathon: marché de Villeneuve-sur-Lot le matin, transfert et installation de l’étal du marché gourmand l’après-midi. À 16h, gros coup de mou. Anaïs est difficile, Laëtitia est crevée, et moi aussi. Trop de tension accumulée, les nerfs craquent. La déprime guette. Éclate la scène de ménage dans la cuisine. Je ne pense plus qu’à laisser tomber, quand mon cousin Charles débarque à nouveau comme le cavalier blanc et prend la direction des opérations: découpe des tomates et du basilic, mise en place, distribution des rôles. Le moral repart, juste à temps pour le lever de rideau…

Carottes fanes - Ferme de Videau
Des carottes pour le marché gourmand

De l’eau dans le gaz

Ce premier marché gourmand de Villebramar, maintenu malgré le COVID-19, a tout pour réussir. Les exposants sont au rendez-vous et les premiers clients aussi. Je suis rincé, fébrile. Je comprends tout juste que cette opération, fût-elle rentable, est la mission de trop en ce pic de saison de maraîchage. Heureusement que j’ai mon cousin Charles, et les inoxydables Flo et Ophélia. Ils sont fringants, dans les starting-blocks. Tout est en place. Lorsque éclate l’orage. Un orage dantesque avec des trombes d’eau comme on avait pas vu depuis des lustres. Grêle, vent puissant. La vague déferle sur nous à l’horizontale. Le parasol devenu inutile, le gaz refuse de brûler, les gamelles prennent l’eau, la nappe est emportée… Après le gros de la tempête, la pugnacité de Charles produira une vingtaine d’assiettes de gnocchis poêlés. Trempés de la tête aux pieds, on se réchauffe, solidarité entre exposants oblige, avec le vin de Buzet d’un voisin que le déluge a privé de clients. Et on n’oubliera pas de sitôt ce coup du destin.

Objectif thunes

Il faut voir le bon côté des choses: la pluie est enfin tombée, après six semaines sans la moindre goutte, et le lac est un peu renfloué. Nous avons aussi un nouveau WWOOFeur, Étienne, envoyé par un copain maraîcher. C’est à nouveau la fête: Élodie et Sylvain, de très anciens copains qui habitent Marseille, vont passer une semaine à la ferme. Ils débarquent avec leurs deux enfants au milieu d’un banquet à Tombebœuf pour les 40 ans d’un voisin. Le lendemain, on lève une coupe à l’objectif des 500€ de chiffre d’affaire sur le marché, dépassé à Pujols. Cette thune fait oublier le fiasco des gnocchis! Puis le quotidien reprend, avec plein de nouvelles bonnes volontés: plantation des fraisiers, de blettes et de chicorées, pose de filets anti-insectes, récoltes, passage de campagnole. L’oïdium pullule, mais le pulvérisateur est en panne. Le mercredi suivant, tout le monde au marché. Sauf Laëtitia qui a réservé son après-midi (et celui du lendemain) pour une série de massages à domicile.

Plantation de blettes - Ferme de Videau
Il n’y a pas d’âge pour planter des blettes

Seul avec les haricots verts

Le dimanche 23 août, me voilà tout seul. Le WWOOFeur Étienne, les copains et leurs enfants sont repartis. Laëtitia et Anaïs ont pris la route pour le Vaucluse, chez mes parents. Évidemment, les récoltes prennent plus de temps (maudits haricots verts!). Il faut palisser les tomates de plein champ et transformer les invendus: coulis de tomate, poivrons en bocal, caviar d’aubergine. Je sème des navets et des carottes dans le compost de déchets verts à l’emplacement des oignons jaunes, après passage de la campagnole. Je sème aussi 600 mottes d’oignons primeur en caissettes, pour le printemps. Seul à la maison, je profite de la pluie pour me payer une journée de repos complète, seulement ponctuée d’un aller-retour au garage où m’attend le motoculteur enfin réparé. Pascale (ma tante) et Claude passent une nuit à la maison sur le trajet de leurs vacances. Le même soir, Anaïs fait son cinéma sur Skype: c’est l’heure du bain chez papy et mamie.

On a goûté pour vous

Début septembre, j’ai encore plein de boulot. Passage de rotavator et débroussailleuse en prévision des plantations d’automne, déplacement de lignes de micro-aspersion, buttage des haricots, palissage et entretien dans les tomates, aubergines, poivrons. Ramassage de tous les melons de plein champ aux feuilles ratatinées, qui finissent au compost. J’ai goûté les fruits: ils sont insipides. Je pose des filets anti-insectes sur les carottes après désherbage. Les récoltes sont longues, parfois jusqu’à la nuit. Idem pour les plantations, car il fait encore trop chaud en journée: laitues, blettes et choux-fleurs entre 19h et 21h. Mais je dois aussi finaliser le flyer du vide-grenier de Villebramar. Et me rendre à une réunion de l’asso du marché bio de Villeneuve-sur-Lot, puis à celle de la commission territoriale pour l’eau, en ma qualité de conseiller municipal. Le 2 septembre, Anaïs et Laëtitia sont de retour. Je commençais justement à m’ennuyer.

Vive les invendus!

Un peu d’air pur

Le COVID-19 n’a pas eu raison de la fête à Monbahus, où l’on mange des moules-frites en compagnie de Samantha et Michael. Au son du groupe de baloche et des auto-tampons, Anaïs en prend plein les yeux et les oreilles. À partir du 8 septembre, notre fille fréquente la MAM de Tombebœuf. Laëtitia en profite pour avancer sur la paperasse, les lessives, le ménage. Anaïs est emmenée chez le toubib pour son premier vaccin, puis chez le chiropracteur à Bordeaux. On réfléchit aux détails de la réhabilitation de l’auvent en serre bioclimatique, et on fait venir un charpentier du coin pour un devis. Marie-Madeleine, la maman de Laëtitia, est venue en renfort, mais blondinette est à bout de nerfs. La petite est difficile, et les nuits se font en pointillés. Le vendredi 11 septembre, un vol en ballon fort matinal (cadeau pour mes 40 ans) produit à point nommé l’effet recherché: une énorme bol d’air pur dans un quotidien pas toujours respirable.

Le Lot-et-Garonne en ballon

COVID-grenier

Le week-end du 13 septembre, les récoltes m’empêchent de participer à la modeste mais traditionnelle vendange chez le voisin Yves, et à la mise en place du vide-grenier annuel de la commune. À mon retour du marché de Pujols, Laëtitia souffre d’une réaction allergique à une piqûre d’abeille. L’ambiance est délétère, je me contente d’un aller-retour en poussette au village pour la fin du vide-grenier masqué (COVID-19 oblige). Lequel, paraît-il, a été un succès. Je dois m’échapper avant le nettoyage et le rangement de la halle. Entre bébé et surmenage, le comité des fêtes de Villebramar ne peut pas trop compter sur nous cette année. Le soir-même, c’est l’arrivée de Loïs, un ancien WWOOFeur en formation BPREA maraîchage qui a choisi d’effectuer un stage chez nous. On est très honorés. De le voir revenir avec un projet de vie bien ficelé si semblable au notre. De le voir revenir tout court! Loïs, on l’aime fort. Sérieux mais drôle, il a tout du gendre idéal.

Un rien l’habille

Mais le régime WWOOF, c’est fini. Un bon stagiaire est un stagiaire sur les rotules! Les missions s’enchaînent: campagnole et grelinette, désherbage et taille des fraises, arrachage des patates, épandage de compost, plantation de laitues et de choux pointus, conserves de tomates… Loïs s’en sort bien, car il a déjà un peu d’expérience. Et l’énergie de la jeunesse! Même au marché, il est impeccable dans son tablier «ferme de Videau». Faut dire qu’un rien l’habille, Loïs. À la maison, autre ambiance. Anaïs a la crève, et je dois la promener jusqu’à des heures impossibles avant qu’elle s’endorme. Laëtitia est au lit à cause des effets secondaires d’une potion anti-histamines. Ma belle-mère prend le train pour Poitiers le jeudi 17 septembre, après un séjour d’une semaine. J’ai du mal à imaginer comment, sans sa présence et celle d’un arpète, nous aurions pu nous maintenir à flot. Comme souvent, le timing est favorable aux coups de main providentiels.

Tri des oignons jaunes pour séchage - Ferme de Videau
Tri des oignons en toute plénitude

Récoltons sous la pluie

On ne faiblit pas. La saison est à la plantation d’une première série de mâche (environ 1500 plants) le 18 septembre, de presque autant d’épinards le 23 et d’une planche de persil le 24. Comme il pleut, on se rabat sur le tri des oignons pour séchage à l’abri du tunnel à matériel. J’avance sur la planification des cultures en 2021. Me renseigne sur les aides agricoles régionales (en l’occurence, le PCAE), pour financer notre projet de serre bioclimatique. Laëtitia se déplace pour quelques massages à domicile. Un autre jour, elle participe à un atelier portage de bébé. Puis s’autorise une après-midi sans enfant à la piscine avec une copine. Pendant ce temps, il pleut toujours. Les physalis sont superbes, mais on récolte dans la boue. Loïs trie les oignons. Il pleut et il fait froid. L’été s’est fait la malle! Les ouvertures latérales des tunnels sont définitivement fermées. Le 27, on lance la première flambée de l’année.

Tutos à tâtons

Le lundi suivant, on fait un inventaire, on prend des mesures et on visionne quelques tutos en prévision du chantier de la salle de bain à l’étage. On file acheter des plaques de plâtre et un rouleau de pare-vapeur. Laëtitia se rend ensuite dans un magasin spécialisé pour y négocier parquet, lambris, peinture, laine de bois et autres matériaux bio-sourcés pendant que Loïs me rejoint sur le nouveau chantier, interrompant son marathon de la grelinette. Les copains Max et Flo, de Dordogne, nous rendent visite. Issus de la même promo WWOOF que Loïs, ils fêtent avec nous la réouverture du restaurant de Tombebœuf en même temps que les retrouvailles. Puis on se sépare. Loïs retourne à son foyer, son BPREA et son projet d’installation. Dans le Béarn, peut-être? Pour nous, ça paraît bien loin. Là-dessus, mes parents atterrissent le dimanche 4 octobre, pour un séjour d’une semaine.

Laëtitia à la découpe placo - Ferme de Videau
Pin-up du placo

Un temps de cheval

Le temps est toujours à la pluie, et les récoltes dans la boue. En dehors de celles-ci, je déserte le jardin. À part un rendez-vous massage du coté de Moulinet, Laëtitia se trouve plus disponible avec Anaïs en crèche, mamie en cuisine et papy en homme à tout faire. Le chantier avance: on pose le parquet en liège, on monte la structure métallique et on visse les premières plaques de plâtre. Je me décide quand même à chausser mes bottes pour couvrir la mâche d’un petit tunnel plastique sinon la pluie achèvera de la noyer. Les épinards ne poussent pas non plus. L’an prochain, je fous tout sous tunnel. En plus de mes parents qui arrachent les tomates en plein champ, on bénéficie d’une main d’œuvre inopinée en la personne de Kristen et Pierangelo. Ces deux-là ont trouvé refuge dans le pré du voisin, avec leurs poules, leurs juments… et la roulotte qui leur sert de maison!

Le coup de la panne

C’est un mois plein de suprises. On déniche 2 kg de cèpes dans le bois voisin. Pierangelo, qui a bossé à l’INRA et créé une endive rose, semble connaître le règne végétal comme sa poche. Maman adore aller aux champignons avec Kristen. Je revends les potimarrons bio du voisin Philippe comme des petits pains avec ce climat propice aux soupes. Et puis, nos deux voitures tombent en panne, le même jour. Le fourgon repart avec une batterie neuve, juste à temps pour le marché de Villeneuve-sur-Lot auquel une représentante de WWOOF France est venue à la rencontre des 5 agriculteurs hôtes qui le fréquentent. L’après-midi, on récupère l’autre bagnole. La roulotte a continué sa route, mes parents sont retournés en Provence. On choisit de prendre le large, en famille, pour quatre jours de vacances bien mérités en Dordogne, pays de mystères, de forêts, et de fort pouvoir d’achat.

Brouettes de compost - Ferme de Videau
Gymnastique du matin

Trop chou

Lundi 19 octobre, rentrée de vacances, nous accueillons un ultime WOOFeur en la personne de Damien, qui échappe pendant les congés scolaires à son service civique dans une école près de Marmande. Complètement novice en matière de maraîchage, Damien a droit à la totale: des dizaines de brouettes de compost à charrier, des kilos de haricots verts à cueillir, des centaines de plants d’épinards à repiquer, des milliers de caïeux d’ail à trier. On dépasse le quota d’heures réglementaire, mais Damien en redemande. Pose mille questions. Et se paie à table. Pendant ce temps, le chantier de l’étage est au point mort. C’est qu’il faut rattraper le temps perdu au jardin avec le soleil revenu. On cravache. J’en oublie même le conseil municipal. Je vends mes premiers choux, avec succès. Le lundi suivant, on accueille Aurore, en formation BPREA maraîchage à Sainte-Livrade, qui viendra régulièrement cette année. C’est l’usine!

Les chauves près du poêle

Et ça continue: grelinette, campagnole, compost, plantation, reformation de planches, rempotages, semis… On fera une grande pause à partir de décembre, une fois que tout sera en place pour le printemps. En attendant, on caresse nos projets d’avenir: la salle de bain de l’étage sera prête avant Noël, promis. Et on attend les devis du charpentier et du maçon pour la construction de la serre à semis bioclimatique. Et l’appel à projet de la région qui jugera du caractère écologique de ce projet et nous permettra peut-être de le financer. Le sourire d’Anaïs est tous les jours plus craquant. Ses grands-parents maternels débarquent le 29 octobre et peuvent en témoigner. Sur son crâne encore chauve, un petit bonnet phrygien tricoté par une copine. Ça commence à cailler un peu. L’ambiance est à la fin de saison, le retour au calme près du poêle. On reforme le cocon en prévision du froid. Et tiens, c’est officiel, on reconfine.

Plantation pommes de terre - Ferme de Videau

En avril, tu perds le fil. En mai, t'es déjà en juillet.

Du 1er avril au 26 juillet 2020

Pfuit, quatre mois se sont écoulés depuis la dernière chronique de ce blog. Quatre mois de plus pour la petite Anaïs, née le 26 février juste avant le confinement, qui mobilise toute l’énergie de sa maman et refuse toujours de prendre le biberon. Pour Laëtitia, c’est un boulot à plein temps. Pour le papa, le jardin est comme un deuxième bébé dont il faut s’occuper chaque jour. Quand la belle saison revient, le temps libre se fait la malle. L’épidémie de coronavirus bat son plein, et la visite des parents, beaux parents, copains et WWOOFeurs est reportée. En bref, on est débordés! Heureusement, bébé et plantules poussent avec entrain. Et de cette époque agitée, nous n’avons pas manqué de noter les rebondissements dans notre carnet de bord.

Promenade à la Ferme de Videau
La ferme de Videau au détour du sentier (photo Céline Morançay)

Avril, c’est le début de la saison des fraises ciflorette que nous avions plantées en septembre. Résultat, elles sont délicieuses, bien que moyennement productives. C’est une année spéciale pour les fraises, d’après le voisin Garonnais qui en produisit à échelle industrielle. Il fait anormalement chaud: 24°C. J’ajoute une mention «stock très limité» dans l’email hebdomadaire de commande de paniers de légumes, car les fraises s’arrachent bien trop vite. À la ferme, d’abord, et aussi à la ferme de Nicoy de Pujols, chez Cathy et Michel Artisié, où je livre tous les dimanche pour compenser la fermeture du marché. En début de semaine, je livre quelques habitants de Villebramar. Le mercredi, l’ami vigneron Jacques Réjalot réceptionne quelques paniers de légumes à Tonneins pour ses voisins. Je troque le sien contre des bouteilles. On se débrouille comme on peut.

Le chantier pommes de terre se profile. C’est évidemment le moment que choisit le motoculteur pour tomber en panne. Le 11 avril, Laëtitia me file un coup de main pour planter 100kg de tubercules. J’ai récupéré ma machine et j’attelle une paire de socs flambants neufs, mais dans notre sol lourd en dévers, je n’arrive pas à butter les rangs correctement. Crise de nerfs. Finalement, le lendemain, je suis bien obligé de butter à la main ces 400m2 de pommes de terre. Nouveau chantier: le 17 avril, Sarah m’épaule pour la plantation des oignons. Nos voisins ont accepté de nous prêter leur stagiaire, et grâce à ce mercado paysan nous repiquons 2000 mottes dans la journée. Vite, vite, la météo annonce de la flotte! Le soir même, un orage éclate. Je fais le V de la victoire. Sarah est épatante, elle reviendra: on plantera des aubergines, des poivrons, on repiquera des tomates et des fleurs.

Barquettes de fraises ciflorette

Le 23 avril, je livre mes premières commandes depuis cagette.net, une plateforme de vente directe. La commune de Pujols (47), toujours privée de marché, m’a sollicité pour rejoindre un groupe de producteurs. Dans ce drive improvisé, on distribue des paniers de légumes, œufs, fromage, miel, confitures… Est-ce un nouveau modèle pour l’après COVID? Une chose est sûre: quand les marchés reprendront (s’ils reprennent), je vais manquer de légumes, car mon stock n’est pas extensible à l’infini. Tous, on navigue à vue. Mais on garde le contact avec nos clients. Le lendemain matin, c’est relâche. Promenade avec Anaïs, un peu d’écran, et cuisine en famille. L’après-midi à la ferme de Caillou, cueillette et préparation d’extrait fermenté d’ortie et consoude (purin), en contrepartie d’un « emprunt » de stagiaire pour mes propres travaux à la ferme. On boit l’apéro tous ensemble, malgré le confinement.

Fin avril, les aubergines sous abri ont manqué d’eau et font la gueule. Dehors, le temps est passé de la canicule à la pluie permanente: il pleut, il pleut, il ne fait que pleuvoir. Près du lac, la pompe déconne à nouveau et avale de l’air, malgré le démontage et remontage complet des raccords avec pâte à joint. Les pucerons ont fait une entrée fracassante dans les concombres. Bref, c’est la déprime. Qui ne dure jamais longtemps: le 3 mai, c’est la réouverture du marché de Pujols (47) et je vends tout mon stock, dont des pots de basilic grec à repiquer. Les paniers de légumes ont la côte et je me réjouis d’avoir réussi mes carottes, dont les bottes s’arrachent. J’ai nettoyé la crépine de la pompe, plus de problème. Alexandra, notre pote de Périgueux, est de passage à la ferme. Et le beau temps est revenu, 26°C au thermomètre. Comme notre moral, d’un extrême à l’autre!

Retour au marché bio de Villeneuve-sur-Lot (photo Céline Morançay)

Lundi 11 mai, c’est la fin du confinement. Anthony est sur place à 8h pour achever sa dernière semaine de stage dans le cadre de son BPREA. On sème des haricots, du soja, des carottes. On plante des melons, des concombres, des laitues. On arrache les blettes, les fèves (qui n’ont rien donné, la faute à la pluie?), on désherbe, on paille. Je vais tout seul au marché bio de Villeneuve-sur-Lot, qui vient de rouvrir, et où j’ai peu de marchandise, à part des laitues et de jolies bottes de betteraves. Trop facile, je vends tout. On cuisine avec Alexandra: carrot-cake et shortbread aux fraises (j’ai une super recette). Le samedi 16 mai, on rend enfin visite à deux ex-WWOOFeurs, Flo et Max, lesquels se sont installés en Dordogne dans une yourte et sur un terrain qu’on leur prête. En bon pote âgé, je donne quelques tuyaux pour le jardin.

Le 18 mai, je reçois la contrôleuse d’Ecocert pour un audit annuel. Tout ce qui a été semé ou planté après le 2 mai 2020 peut désormais recevoir la mention «agriculture biologique». Anaïs est née en février, elle fait donc exception, même si son environnement reste avantageusement préservé. Son lait maternel est un modèle du genre, et n’est que rarement pollué par de la nourriture industrielle. J’ai hâte qu’elle avale sa première purée de carottes du jardin. Elle est trop mignonne. Elle a les yeux et le sourire de sa mère. Le 20 mai, nouveau rendez-vous chez la sage-femme. Anaïs refuse toujours obstinément le biberon. Une absence de Laëtitia, partie livrée des paniers de légumes à Pujols, tourne au drame: Anaïs n’accepte aucun des récipients en plastique que je lui tends. Le confinement n’est plus qu’un souvenir (pour l’instant) mais la maman et son bébé son presque cloîtrées à domicile.

Gâteau aux fraises - Ferme de Videau
Des fraises pour fêter les 3 mois d’Anaïs

Le 21 mai, arrivée des parents de Laëtitia. Anaïs est confiée à sa grand mère pour des promenades à visée somnifère et François, comme d’habitude, exécute quelques bricolages et installe des moustiquaires aux fenêtres de l’étage. Le 23 mai, Edith de Moulinet me file un coup de main pour planter les tomates, tomatillos, physalis et aubergines de plein champ: 250 plants. Max, Flo et Ophélia font une descente depuis la Dordogne pour m’aider à butter une deuxième fois et pailler les pommes de terre. Encore une grosse journée. L’apéro du soir chez les voisins à Monbahus fait l’effet d’un coup de bambou. Le dimanche soir, on est invités chez les copains de Lou Cornal pour un repas paysan, histoire de compenser l’annulation pour raison sanitaires de la journée portes ouvertes de la ferme. Je récolte les premières courgettes et les premiers concombres. Au marché, j’encaisse entre 200 et 250€, à chaque fois. Les paniers à la ferme, environ 100€ par semaine.

Le 2 juin, une mini-pelle est à la ferme pour prolonger la tranchée d’évacuation des eaux pluviales de la grange vers le lac. Mine de rien, des aménagements avancent, mais le jardin prend tellement de temps que les autres chantiers sont au point mort, avec ou sans coup de main. Laëtitia est déprimée, elle se sent prisonnière, privée de vie sociale. Anaïs n’est pas facile à vivre. C’est un jour sans. Je promène notre bébé pendant que maman se repose. Deux jours plus tard, la déprime change à nouveau de camp: des larves de taupin (ou des mulots?) s’en prennent aux aubergines qui crèvent les unes après les autres, j’en suis malade. La plantation du basilic tourne court. Les doryphores se multiplient dans les patates. Rien ne va. Le vendredi, enfin, on peut faire la grasse mat’ jusqu’à 8h30. Mes parents débarquent le 7 juin, on va sans doute pouvoir souffler.

Compost de déchet-vert - Ferme de Videau
En famille dans le compost de déchets verts

Le planning est bien garni: mamie récolte les premiers haricots verts et les fraises, papy taille les bambous et le figuier. Il faut pailler les arbustes, les tomates de plein champ, les melons. Palisser les aubergines et les poivrons. Ramasses les doryphores avant de les brûler. Tous ensemble, on prépare un semis de sorgho en épandant plusieurs dizaines de brouettes de compost de déchet vert dans le tunnel n°4. Chaque année, je choisis de sacrifier une serre en n’y installant aucune culture, seulement des engrais verts, pour bien préparer la saison prochaine. On confie la cuisine à mamie. Finalement, mes parents repartent le lundi 15 juin. Mais les visites se succèdent: Sabine et Gildas venus chercher des carottes à vélo, Cécile et Alexandre dont le chien s’est enfui à Videau, la copine Sarah pour un séjour prolongé… Laëtitia refait le plein de lien social. Et se paie même le luxe de deux clientes pour ses massages bien-être, assez sympas pour se déplacer et garder Anaïs à tour de rôle.

Dimanche 21 juin, un grand jour! Juste le temps de rentrer du marché, d’engloutir le chouette couscous de Sabine et je file à Marmande cueillir nos premiers WWOOFeurs post-confinement. Encore une fois, bonne pioche. Roxanne, Céline et Loup forment une bande de copains et une équipe d’enfer. Je sens le potentiel, car j’ai le nez fin. On a eu un mois de juin bizarrement trop frais, mais la chaleur est de retour et les premières activité démarrent sous le cagnard: désherbage, ramassage des doryphores, pose d’un voile d’ombrage sur les tomates. On teste la campagnole prêtée par Benjamin, un copain maraîcher. Il s’agit d’un genre de grelinette équipée de contre-dents qui permet d’ameublir le sol sans trop d’efforts. Le lac est envahi d’algues et la pompe fait encore des siennes. J’envoie Loup et Roxanne sur un bateau gonflable à la pêche au varech, pendant que Céline m’accompagne au marché. Quel bonheur d’avoir de la compagnie!

Campement wwoofing - Ferme de Videau
Les WWOOFeurs sont de retour! (photo Céline Morançay)

Manoue revient nous rendre visite pour s’occuper de sa petite fille. Laëtitia emmène sa chaise de massages Amma assis à l’EHPAD de Villeneuve-sur-Lot. Elle n’y fait pas de vieux os car Anaïs n’accepte toujours ni le biberon, ni la pipette, ni la cuillère, ni aucune de nos ruses de sioux pour seconder sa maman. Avec les WWOOFeurs, on se consacre au maraîchage. On récolte jusqu’à 15kg de haricots verts. On arrache l’ail. Ces trois-là commencent à bien se débrouiller. J’en profite pour commander 250 stolons de fraise bio, à planter en août. À nouveau, la pompe marche sur trois pattes. On remplace le tuyau d’aspiration, c’est pire. Je me résous à démonter le mécanisme, et découvre la turbine bouchée par du vieux foin. Que d’heures perdues! Pour la pâtisserie, c’est autre chose, on ne compte pas. Il se récolte encore suffisamment de fraises pour un bavarois. Le 26 juin, on fête les 4 mois d’Anaïs. Le 29 juin, ça fait pile 3 ans qu’on a acheté la maison.

Ce jour-là, nous sommes occupés à préparer la parcelle des poireaux et voyons le voisin Yves emprunter le chemin communal avec sa canne. Son tracteur a chaviré dans un fossé, sa main gauche est rouge de sang. Au urgences de Marmande, on le relâchera à 3h du matin avec quelques points de suture. Quelques heures plus tard, de bon matin, Yves a appelé du renfort et le tracteur est ramené à la maison, car l’herbe, cette idée fixe, n’attend pas. Il faut tondre, et tondre encore. Il faut dire que chez nous, c’est bien moins rigoureux: la prairie est envahie d’indésirables qui nous arrivent à la taille. Garonnais passera le broyeur… un de ces jours! En attendant, on court ailleurs: le 1er juillet, record de vente battu au marché bio de Villeneuve-sur-Lot en compagnie de Loup avec 424€ dans la caisse, et c’est aussi la première visite au marché pour Anaïs dans le porte-bébé de sa maman.

Plantation laitues - Ferme de Videau
On désherbe, on sème, on plante… et on arrose (photo Céline Morançay)

Roxanne a moins de chance, et doit courir derrière le fourgon alors que je prends la route pour le marché de Pujols à 6h45 du matin. Persuadé qu’elle est restée au lit, je n’entends pas ses cris dans le rétro, j’accélère et la renvoie à sa grasse mat’. À part ça, les journées se suivent et se ressemblent. Ophélia, Max et Flo sont à nouveau de passage. On sème, plante, on palisse, on taille, on arrose, on traite (contre l’oïdium, les pucerons, la pyrale du buis…), on débroussaille, on désherbe, on récolte, on bricole… et à table on s’en met plein la lampe. À partir du 6 juillet, nouvelle équipe de 3 WWOOFeurs: Anne, Luce et Flo succèdent aux trois larrons du mois de juin. La barre est haute! Vu le contexte sanitaire, une cure d’ail s’impose. Il nettoyer et trier les têtes avant de les mettre à sécher sur des claies à prunes. J’ai d’autres projets: plantation de choux et d’artichauts, quand le motoculteur tombe une énième fois en carafe au milieu du champ.

Les copines Anaïs et Oana, de Montpellier, font un séjour à la ferme. J’ai besoin de lâcher du lest, et saute sur la proposition de promenade à vélo jusqu’à Miramont-de-Guyenne. Lundi 13 juillet. Le motoculteur est au garage. Pour moi, c’est comme un dimanche, après tout. Bonne nouvelle, enfin: les stolons de fraise bio sont arrivés par la poste, je les emmène chez Benoît, mon horticulteur préféré, qui va les repiquer en godet jusqu’à la plantation définitive. À cet emplacement, on épand du fumier de cheval d’un haras voisin, du compost de déchet vert, on passe la grelinette. La prochaine saison des fraises sera une réussite ou ne sera pas! Laëtitia se rend chez ses parents près de Poitiers pour une semaine. À la réunion du comité des fêtes, on décide d’annuler la fête de Villebramar. Mais on maintient le marché gourmand, premier du genre, le 12 août. Il va falloir que je réfléchisse sérieusement à mon étal de plats végétariens. J’ouvre quelques bouquins de recettes.

Passage tracteur Kubota - Ferme de Videau
Le motoculteur est en panne, on me prête un petit tracteur Kubota (photo Luce)

Le 17 juillet, assisté de Flo, j’aménage enfin un regard à mi-chemin de l’évacuation d’eaux pluviales vers le lac, pour y brancher la descente du toit de la maison. C’est un petit pas pour les travaux publics, mais un grand pas pour la ressource en eau. Flo creuse aussi une tranchée qui reliera les lignes de goutte-à-goutte dans les haies champêtres. Pour la première fois, je livre des légumes au nouveau resto de Pujols, à tendance végé et bio. À mes heures perdues, je planche sur la communication du marché gourmand de Villebramar: flyers, affiches, communiqué de presse envoyés aux radios, journaux, offices de tourisme. Le COVID-19 rôde dans les parages, on annonce un cluster du côté de Bordeaux… Serait-ce un coup d’épée dans l’eau? Je suis une peu déboussolé. Les WWOOFeurs sont toujours aussi chouettes, l’invitation à un ciné de plein air chez les voisins est une aubaine, il n’empêche: l’absence de Laëtitia et Anaïs, en vacances à Poitiers, fait comme un trou dans l’univers.

Le 21 juillet, je suis toujours sans nouvelles du motoculteur et je choisis de me rendre au garage pour en avoir le cœur net. J’ai connu des mécanos plus professionnels mais celui-ci me garantit que les pièces sont commandées, et rattrape le coup en me prêtant un petit tracteur Kubota. Je vais donc pouvoir préparer la parcelle des choux. On épand du compost de déchet vert, dont j’ai refait le stock en me faisant livrer deux bennes de 13 tonnes chacune. Encore quelques passages de grelinette, d’autres passages de campagnole que, conquis par l’essai quelques semaines plus tôt, j’ai finalement acheté, et on sera fin prêt pour la plantation de crucifères. Luce et Flo auront vu le début, mais n’en verront pas la fin. Ils partent vers de nouvelles aventures (et des visites d’apparts dans la région). Entre temps, sans doute pour ne pas me m’abandonner à mon triste sort, Laëtitia est rentrée de Poitiers avec Anaïs. Et la ferme de Videau de retrouver ses cris, ses pleurs, ses engueulades et ses râleries… et les sourires désarmants d’Anaïs, qui prend désormais sa purée de carottes du jardin!

Tulipe d'Agen à Villebramar - Ferme de Videau

Premier symptômes du printemps

Du 1er au 29 mars

Alors voilà, nous sommes maintenant trois à la ferme. Depuis la naissance d’Anaïs, nous avons une nouvelle colocataire. Une invitée de marque. Et ce n’est pas une sinécure! Certes, Anaïs prend moins de place qu’un WWOOFeur. Elle mange moins qu’un WWOOFeur. Seulement, elle le fait plus souvent. Environ toutes les 3h, et même au milieu de la nuit. Et faut pas compter sur le moindre coup de main, hein. Même pas pour mettre le couvert. Ni pour rentrer du bois, fût-il petit. Pour l’instant, l’investissement semble peu fructueux en terme de main d’œuvre. L’amour, cependant, annule ce solide pragmatisme. L’amour nous fait perdre les pédales. Avec Anaïs, on est dans notre bulle, un genre de doux confinement. Ses yeux, ah, ses yeux! nous font oublier le reste. Quoi, quel virus?

Mardi 2 mars, nous tentons d’échanger avec la MSA à propos du congé paternité auquel j’ai droit. Il pleut toujours, j’ai l’impression que ça fait des mois. Une tentative de semer des carottes avec ce nouveau semoir Sembdner 4 rangs d’occase échoue lamentablement dans le compost détrempé. On est mieux sous les nouveaux tunnels, et j’y aménage une nouvelle butte. Mais il pleut toujours pour les récoltes. Le soir venu, je vais chercher belle-maman à la gare de Marmande. Manoue est grand-mère pour la première fois, c’est une rencontre émouvante. Le lendemain, après le marché, la bande habituelle (Sabine, Sandie, Damien et Gildas, leur enfants) vient filer un coup de main pour la mise en place de protections anti-gibier sur les arbustes de la haie plantée en novembre. Il fait un temps à boire un chocolat chaud près du feu. La maison est pleine d’enfants.

Protection anti-gibier sur arbuste
Protection anti-gibier… et un jeune arbuste qui débourre

Avant le week-end, j’ajoute une nouvelle butte au tunnel n°6. J’éclaircis les carottes, celles qui ont été semées en décembre. Je repique le basilic et je sème des fleurs: nigelle de Damas, cosmos, œillet d’Inde, pavot de Californie, lunaire, que je planterai au milieu des légumes et qui, en plus d’égayer (qui ne conçoit pas un jardin potager sans fleurs?), attireront les insectes auxiliaires. Arrivée par la route de beau-papa, qui découvre lui aussi sa petite fille. C’est à ce moment que le thermostat du chauffe-eau décide de nous lâcher. Le dépanneur du coin a la pièce en stock, ouf! Samedi, j’emmène Michael et ses kids au 1er salon de la bière artisanale de Damazan organisé par l’ami Jacques Réjalot. J’y retrouve aussi les copains de la brasserie In Taberna de Monflanquin qui font des bières houblonnées comme je les aime. Pourquoi ressortir ma panoplie du brasseur amateur quand on est si bien servi en Lot-et-Garonne?

Question bière, on remet ça le dimanche au Old Lord Raglan, le brewpub de Montignac-de-Lauzun. J’ai ajouté une butte au tunnel n°5, et je n’arrive qu’à la mi-temps de la rencontre Écosse-France. Un rugbyman tricolore vient de balancer son poing dans la figure de l’arbitre. Nous, on fête enfin l’arrivée d’Anaïs avec une pinte de real ale. À cet instant, on ne se doute pas encore que ces moments de convivialité seront les derniers avant longtemps. La vie continue, comme d’habitude. À part que les nuits sont plus courtes. Mais les beaux-parents sont là pour la semaine, ils rendent pleins de menus services: courses, réparations, approvisionnement en bois de chauffe, déménagement de la chambre du rez-de-chaussée, convoyage d’un chargement de bambous depuis Tombebeœuf, etc., ça soulage. Au jardin, sous la serre, je m’escrime avec notre terre argileuse. Les dernières buttes dans les nouveaux tunnels sont enfin achevées.

Passage de rotavator
Travail du sol dans terre argileuse

Épinards, laitues et courgettes sont prêtes chez l’horticulteur du Temple-sur-Lot avec lequel je travaille. Je débroussaille: l’herbe autour des tunnels, et une partie de l’engrais vert (un mélange moutarde/seigle) en plein champ, que je couvre d’une bâche d’ensilage pour occultation. Vendredi 13 mars, Manoue et Laëtitia conduisent Anaïs chez l’ostéo à Villeneuve-sur-Lot. On mange un poulet rôti (de chez les copains de la ferme de Lou Cornal) en famille, et c’est la première balade en poussette, car on commence à voir le soleil. Ce week-end-là, laitues, épinards et betteraves sont plantés. La grelinette est passée dans les deux nouveaux tunnels. Le coronavirus est en France, c’est officiel. Mais on vote comme d’habitude au premier tour des élections municipales, et l’unique liste dont je fais partie est élue tout de suite. Maraîcher, papa et conseiller municipal: j’ai maintenant trois casquettes.

Lundi 16 mars, je traverse une bonne partie du département jusqu’à la ferme de Christelle près de Casteljaloux, où sont stockés mes plants de pommes de terre, arrivés quelques jours plus tôt de Bretagne après une commande groupée. Entre petits maraîchers bio, on a toujours une foule de choses à se dire, et on se fait la bise comme d’habitude, sans plus de précautions. Le lendemain, les annonces alarmistes du gouvernement et le masque porté par l’ostéo venue manipuler Anaïs me font réaliser la légèreté de cette expédition aux patates. Avec peu de légumes, je renonce à aller au marché bio de Villeneuve-sur-Lot. Début du confinement, et fin du train-train habituel de la vente directe pour les agriculteurs comme moi. En attendant, j’ai étalé mes 100 kg de plants de pommes de terre sur des claies pour qu’ils germent. C’est toujours ça de sauvé.

Balade en poussette
Première balade en poussette.

Mercredi, jour de marché, je vaque donc à des occupations moins commerciales que prévu: désherbage, perçage d’une toile de paillage pour les courgettes, semis direct de haricots verts, construction d’un abri pour moutons… quand Sabine me propose de repiquer des jeunes plants de physalis et de basilic qui lui restent sur les bras. Pour la première fois, je me rends donc à Tombebœuf avec mon attestation en poche, songeant aux copain parisiens dans le confinement qui ont perdu le luxe de ces promenades au grand air. Jeudi, le gyrobroyeur du voisin Yves semble faire un drôle de bruit. Et pour cause, celui-ci vient de pulvériser le tuyau d’évacuation des eaux pluviales caché dans l’herbe! Nous voilà pris en défaut d’entretien de la pelouse. Il est vrai que c’est le cadet de nos soucis, mais j’ai une excuse: il manque une pièce à la débroussailleuse.

Vendredi 20 mars, relâche. Papa promène sa fille, pour libérer une poignée d’heures de sommeil à la maman. J’ai des coups de fil à passer: les parents, les frangins, les copains, ont tous des histoires de confinement et méritent quelques nouvelles de cette nouvelle vie avec notre petit bout. Et c’est pareil pour l’ensemble des abonnés à notre newsletter: copains, famille, ils méritent quelques nouvelles, bonnes et moins bonnes: avec les restrictions, la journée des tulipes est annulée. L’inauguration du nouveau numéro de la revue Le Citron, consacré à la ferme de Videau, est reportée. Et l’avenir paraît bien incertain, si la vente des légumes sur les marchés venait à être bloquée. Je réfléchis à la manière de mobiliser un peu plus les clients des paniers de légumes à la ferme.

Balade en écharpe de portage
Balade en écharpe de portage.

Laëtitia passe le plus clair de son temps avec Anaïs. Entre deux tétées, je lui offre une promenade dans l’écharpe de portage. Mais j’ai fort à faire au jardin: le travail du sol dans les tunnels n’en finit pas de finir. La plantation des courgettes est repoussée tous les jours. J’emploie la grelinette. Je passe et repasse le rotavator, un outil de faible valeur agronomique, mais qui permet de se sauver de certaines situations. J’installe un tunnel nantais sur les haricots verts pour les hâter. Je raccorde l’irrigation dans les fraises, qui vont en avoir besoin: c’est le printemps, mais on se croirait en été. Du coup, je retire les bâches d’occultation qui couvrent depuis plusieurs semaines les anciennes planches d’engrais vert pour qu’elles ressuient au soleil et au vent. Deux fois par jour, je vide le contenu de quatre arrosoirs sur un semis de carottes.

Laëtitia prend le temps de répondre aux nombreux messages de sympathie, cadeaux et participations à notre cagnotte de naissance. On a prévu un faire-part, mais le confinement a franchi un nouveau palier et les bureaux de Poste sont fermés. Les marchés de Villeneuve-sur-Lot, ainsi que celui de Pujols sont annulés. Suivent de nombreux échanges d’emails entre exposants. La commune de Villeneuve propose de dresser une liste des producteurs. Certains (j’en suis) réclament la réouverture à certaines conditions pour se sortir de la distorsion de concurrence exercée par les grandes surfaces qui restent ouvertes, elles. En attendant, la mutualisation de nos informations est bien relayée: le nombre des abonnés à la commande de paniers de légumes hebdomadaire de la ferme de Videau explose.

Blettes, carottes, laitues sous abri
Confinement: comment écouler blettes, carottes, laitues?

Le 26 mars, je complète une dérogation de sortie et je m’équipe davantage en matériel d’irrigation, en terreau et en toile de paillage du côté de Tonneins et Marmande. Le lendemain, je plante enfin les courgettes sous abri, et les cardons arrachés chez la voisine Huguette. Je déplace le magnolia offert par Aurel et Nico, lequel avait les pieds dans l’eau, et installe le cerisier du Japon offert par Sandrine. C’est un avant-goût de la grande valse des plantations d’avril. Mais ces centaines, ces milliers de plantes en pot ne sont rien en comparaison de notre unique jeune pousse. Avec Anaïs, on profite de cette nouvelle vie à trois. Premier Skype avec les grands parents provençaux, qui finalement ne viendront pas nous rendre visite en avril, confinement oblige. Heureusement, tout le monde va bien. On n’a aucun symptôme. On est juste complètement gagas.

Anaïs - Ferme de Videau

Vous m'en mettrez 2,8 kg

Du 2 au 29 février 2020

Le mois de février s’annonce comme un mois riche en événements. On arrive certes à un moment charnière dans l’année, celui du redémarrage de la saison de maraîchage. Surtout, le ventre de maman s’est beaucoup arrondi et nous attendons avec impatience, et aussi pas mal de trac, un départ prochain à la maternité. Il y a assurément du printemps dans l’air, même si le temps est presque toujours à la pluie. Idéal pour l’arrivée d’un petit poisson, non? De toutes façons, il en faudrait plus pour doucher nos projets d’avenir.

Les carottes que j’avais semé dans un compost de déchets verts sous bâche sont en train de lever. Je remplace le plastique par un voile de forçage. Je m’attaque à l’aménagement des deux nouveaux tunnels, édifiés le mois précédent: il s’agit de pelleter la terre des allées à l’emplacement des nouvelles buttes. C’est un exercice plutôt bon pour le cœur, désastreux pour le dos. Ce dimanche, c’est la conscience sportive tranquille que j’assiste au choc France-Angleterre (c’est du rugby) pendant le désormais hebdomadaire apéro du dimanche soir au golf de Tombebœuf.

Les parents de Laëtitia sont à la maison. Beau-papa installe une main courante dans l’escalier, et d’autres menus bricolages dont la date de réalisation s’éternise dans un planning trop encombré sont achevés. Nous avons rendez-vous avec un représentant de l’association Marché des Producteurs de Pays du Lot-et-Garonne, dont le label intéresse le comité des fêtes de Villebramar pour son marché nocturne prévu à l’été 2020. Je passe commande de bâche plastique pour l’ouverture des serres, et pour la création de petits tunnels nantais (qu’on appelle aussi « chenilles ») pour les fraises et les patates primeurs.

Tunnels nantais - Ferme de Videau
Tunnels nantais pour les fraises

Et puis, il y a bébé. Huguette nous a fait cadeau d’une adorable couverture en laine tricotée main. Laëtitia n’en finit plus de trier et de ranger les petits effets personnels, les crèmes et les onguents, les langes et autres couches lavables de notre future. Mardi 4 février, c’est l’avant-dernier rendez-vous avec la sage-femme. Le lendemain, les valises qui nous accompagneront à la maternité sont prêtes. Et un jour plus tard, j’assiste au cours de préparation à l’accouchement avec d’autres papas. C’est un curieux moment d’intimité partagé. Prêts, les papas? Les mamans ont l’air d’y croire.

Ces jours-ci, je suis dans le plastique jusqu’au cou: le voisin Garonnais m’embauche pour couvrir ses fraises. Je fais pareil à la maison, et je songe déjà aux jolies barquettes que je vendrais au bord de la route. Puis je commence la mise en place des ouvertures de tunnels. Avec l’arrivée des copains Leila et Guillaume depuis Vincennes, le samedi 8 février, j’ai du renfort pour installer l’irrigation dans les mêmes tunnels, pour planter une première série de pommes de terre primeur sous chenille, et pour semer une dernière série d’oignons jaunes. C’est la première fois que Leila, qui démarre une formation de paysagiste, sème quelque chose. On promet à tous les deux d’envoyer des photos.

Pommes de terre primeurs - Ferme de Videau
Plants de pommes de terre primeur

Mercredi suivant, à l’issue du marché bio, on se retrouve avec Sabine, Sandie, Gildas et Damien au nouveau restaurant Les allées gourmandes sous l’ancienne halle de Villeneuve-sur-Lot. C’est une tradition dans la bande, de s’offrir une bonne table avant la naissance d’un enfant. On a tout de suite aimé l’idée, tu parles. C’est notre sortie en ville de l’année, on est chics et beaux, et pas sûr que ça se reproduise avant une bonne paye. Avec Sabine et Damien, fils de paysans, on évoque la différence de vues entre générations d’agriculteurs. On se sent plus pragmatiques, moins militants. Résignés, peut⁻être? Ou moins prosélytes. Nous prêchons par l’exemple. En tous cas, on a bien mangé.

Le lendemain, retour au jardin: l’installation de l’irrigation et des ouvertures de tunnels, c’est fini. Dans le dernier tunnel il reste quatre buttes à aménager. C’est pas gagné: après un passage de grelinette, une partie du terrain n’est qu’un champ de mottes. C’est dur comme du béton en surface, détrempé en dessous. Alors, il faut attendre. Que ça sèche. Puis arroser. Attendre encore. Et travailler la terre à nouveau. C’est ainsi, ai-je appris en deux ans, qu’il faut composer avec l’argile. Par contre, là où l’herbe a beaucoup poussé depuis l’automne, la terre se défait facilement. L’argument des couverts végétaux prend tout son poids. À reproduire, à tout prix.

Création buttes de culture - Ferme de Videau
Fier de ses buttes

Lundi 17 février, un résultat d’analyse montre un excès d’acide urique chez Laëtitia. Plongé dans un roman d’Alexandre Dumas, je ne peux m’empêcher de penser à la crise de goutte qui terrassa Mazarin. C’est sans doute moins grave, et c’est le cœur plutôt léger que nous recevons Anaïs et Julien, montpelliérains sur la route de Biscarosse, pour déjeuner. Le lendemain, je découvre la ferme de mon voisin Philippe, dont les potimarrons verts Iron Cup se sont rendus indispensables à mon pauvre étal de marché, seulement composé de laitues, épinards et blettes, en pointillés. Je revendrai donc des potimarrons. Et je ronge mon frein. Le printemps sera formidable… quand viendra le printemps!

Les récoltes sont donc vite expédiées, mais j’ai d’autres occupations: au jardin, je maçonne de petites plateformes en carreaux de terre cuite de récup’ pour y poser des cuves de 200L dans lesquelles on plongera l’arrosoir des semis. Je dresse enfin l’inventaire du matériel apporté par le voisin Garonnais depuis le début (arceaux de serre, asperseurs, etc.). Je lui remettrai à la première occasion, en priant pour que la facture ne soit pas trop salée. Je m’attelle à la construction d’un genre de niche, un abri pour deux moutons importés du cheptel de Sabine, lesquels feront de précieuses tondeuses. Enfin, il y a la taille d’hiver: Laëtitia, enceinte jusqu’au yeux, m’aide un peu à raccourcir les buis, le noisetier, les rosiers…

Jonquilles - Ferme de Videau
Dans les bois, les jonquilles sont en avance

Et puis, il y a le petit bois de Seyches de nos amis, dans lequel on nous offre une concession, et que les arbres abattus l’hiver dernier attendent toujours d’être débités. Je fais le plus gros. Le 21 février, on reçoit Sandrine et Thierry, un agriculteur rencontré le mois précédent, et j’obtiens une foule de conseils pendant la visite de notre modeste domaine, notamment sur l’emploi des engrais verts. Le week-end c’est au tour de cette chère Marie de nous rendre visite depuis Paris. Marie est une habituée qui sait notre musique. Elle apporte de bonnes bouteilles et une boîte de chocolat noir pour mon anniversaire. À blondinette, elle offre un sweat «blondinette».

Dernière semaine de février. Les déplacements de Laëtitia vont un train de sénateur et le dénouement paraît proche. Chacun de mes chantiers peut-être interrompu à tout moment et je guette mon téléphone y compris à l’autre bout du jardin. Ce sont des moments d’une douce tension, heureuse. Retour à Seyches. Michel veut planter une haie champêtre sur la propriété de ses parents, mais je ne suis pas disponible le lundi, j’ai des salades à planter, des semis de basilic à installer au chaud chez le voisin. Mardi, il pleut un peu, on plante quand même. Puis il pleut carrément, c’est pas une partie de plaisir. La centaine d’arbres repiqués ce-jour-là est récompensée par un poulet rôti, c’est tout ce qu’il me faut.

Mercredi 26 février, au matin. Laëtitia a eu des contractions toute la nuit. À 7h, je m’apprête à décoller pour le marché avec ma récolte mais deux coups de fil à la maternité en décident autrement. Seulement 3h après, la petite Anaïs voit le jour à Villeneuve-sur-Lot, et je ne peux m’empêcher de songer, en soupesant ses 2,8kg d’or pur, à mes 6,5kg d’épinards qui n’iront plus au marché. C’est une journée hors du temps, floutée par l’émotion et la fatigue, dans un lieu étrange et aseptisé, à l’opposé de notre rustique et chaleureux chez-nous. Pendant quelques jours, avant le retour d’Anaïs à la maison, nous dormons tous ensemble à l’hôpital. C’est d’un exotisme total.

Les visites se succèdent au chevet de la maman. Je fais de nombreux allers-retours, puisque à la ferme c’est business as usual, ou presque: il y a les paniers de légumes des clients, les épinards qui trouvent finalement preneurs chez les membres du cours de gym, et je veux planter les dernières pommes de terre primeur avant l’arrivée d’Anaïs chez elle, et le grand inconnu qui se trouve derrière. Dimanche 29 février, on est rentrés. Dans la maison, le thermomètre indique 14°C. Une flambée, vite! Ce faux hiver-là n’est pas fini, il peut encore faire froid. Mais cette nouvelle vie qui commence, elle, réchauffe nos cœurs.

Horloge - Ferme de Videau

Le présent, c'est maintenant

Du 2 janvier au 1er février 2020

On serait tenté, pour cette première chronique de l’année, de faire le point sur nos projets pour 2020. Ça serait marrant, comme célébration, de faire le bilan de l’année écoulée. Ça serait surtout probablement barbant, vu que c’est ce qu’on fait déjà tout le temps ici, non? Des bilans et des projections. Des exploits révolus, des défis prochains. Alors que, hé, carpe diem, quoi. Le futur viendra bien assez tôt. Et le passé, c’est so 2019! Pour changer, on va prendre une seule bonne résolution: passer ce récit au présent.

Le 2 janvier, on met une touche finale à l’isolation de l’étage. Alex, notre ex-WWOOFeuse de Périgueux, devenue intime, est avec nous pour quelques jours et je veux vérifier s’il existe chez elle une vocation pour la pose d’un joint d’étanchéité à l’air. Ce chantier-là prend fin, pour de bon. Les filles s’attellent au rangement du matériel et des outils. Le lendemain, c’est la vocation peinture à la bombe que je teste chez Alex, avec la rénovation de la galerie de toit du fourgon, précédemment grattée et traitée à l’antirouille. Et comme on sait varier les plaisirs, Alex rejoint ensuite Laëtitia pour la compilation de mes revenus agricoles 2019. La compta à deux, c’est plus sympa.

Dimanche 5 janvier, c’est l’anniversaire de Claudette, à Feugarolles. On fête aussi les rois mais personne n’a la fève. Surtout pas Alex, qui est restée à la maison pour garder les fauves et la wifi. Ça nous change les idées, on fait la connaissance de Thierry qui est sympa et cultive blé, sarrasin, lentilles, pois… en Anjou. Ça nous change les idées mais forcément, on parle agriculture. Et puis bon, faut bien l’avouer, je n’ai pas encore bouclé mon planning de culture, et j’y pense un peu tout le temps. La compta, c’est moins sorcier. Le relevé des factures de terreau, engrais, plants et semences… est terminé et accessoirement envoyé à mon stagiaire en BPREA maraîchage.

Nouveaux tunnels - Ferme de Videau
Deux nouveaux tunnels

La deuxième semaine de janvier commence. Laëtitia revenue de son cours d’allaitement à la maternité de Villeneuve-sur-Lot, on fait équipe avec Alex pour couvrir nos deux nouveaux tunnels d’une bâche plastique neuve. J’ai trouvé une technique: les extrémités d’une barre métallique passée à l’intérieur du rouleau de film sont posées entre deux piquets de serre en forme d’étrier. Le rouleau ne touche pas le sol et on peut déplier la bâche sans effort, et surtout sans la salir. Ensuite, il faut tendre des ficelles de part et d’autre des arceaux de la serre. On fait le plus gros en cas de coup de vent, et on achèvera d’installer la totalité des ficelles le jeudi, après le marché du mercredi, et un mardi consacré aux récoltes et à la troisième échographie suivie d’un cours de préparation à l’accouchement ouvert aux papas.

Un peu tous les jours, Laëtitia tente de dégoter en ligne du matériel d’occasion avant l’arrivée du bébé: tapis d’éveil, babyphone, veilleuse, langes… En mâle sous-évolué, je préfère lui abandonner ce domaine de compétence et me consacrer au jardin. Alex fait les frais d’un programme chargé: occultation du futur emplacement des oignons avec des bâches d’ensilage pour faire disparaître les résidus de moutarde, et de celui des futures aubergines après destruction de sorgo à la débroussailleuse, désherbage à la main de ray-grass avant une dernière plantation d’ail, émiettement de mottes de terre à la bêche… Enfin, armés de colliers, boulons et clés à cliquet, on installe des barres de culture horizontales dans les deux nouveaux tunnels. C’est une partie de Mécano qui se joue plus vite à deux.

Le dimanche 12 janvier, on reçoit nos amis Delphine, Marion, Baptiste et Nico, de Saint-Eutrope-de-Born. Comme d’habitude avec Nico, rencontré à l’occasion d’un chantier participatif terre-paille, on échange à bâtons rompus autour de l’écoconstruction, et une journée complète n’y suffirait pas. On reprend à peine notre souffle, juste le temps d’engloutir un confit de porc et un foie gras maison, et mon désormais célèbre gâteau renversé aux pommes. Christelle, la fille du voisin Yves, passe à l’improviste nous présenter ses vœux. À la fin, tout ce beau monde prend congé, y compris Alex qui rentre à Périgueux. Un calme sépulcral retombe sur la ferme de Videau.

Épinards - Ferme de Videau
De beaux épinards… une semaine sur deux

Troisième semaine de janvier: j’avance sur la refonte du site web du golf de Tombebœuf et tente de faire jouer mes relations au Biau Germe afin de me procurer en urgence des graines d’oignon, de betterave et de laitue. C’est un ajout de dernière minute au planning de culture. Je rend visite au voisin Garonnais, car je veux lui demander l’autorisation de placer mes semis dans sa grande serre, dont l’amplitude thermique est plus raisonnable. Le jeudi, j’ai toutes mes graines, dont des oignons de saison de type Trébons, que je sème en alvéole et en caisse polystyrène dans un terreau additionné de guano de pigeon. Ces légumes iront sous un tunnel et donneront à la fin du printemps. En attendant, ils lèvent dans un coin du salon, au chaud.

Laëtitia est enceinte à plein temps: il y a le cours hebdomadaire de préparation à l’accouchement (et celui de français donné à Michael, notre Sud-Africain local), le tri des vêtements de bébé, un dernier point couches lavables avec la couturière. Vendredi, grand ménage avant l’arrivée de l’équipe de reporters du Citron, la revue «qui voit du pays et des paysans», laquelle nous fait l’honneur d’un numéro spécial, en même temps que le voisin Yves, intarissable mémoire du village qui a connu près d’un siècle de transformation de l’agriculture et du paysage. On s’entend bien, le repas n’en finit plus. Yves sort le tracteur pour une session photo au couchant. J’ai tout juste le temps de planter la dernière planche d’ail avant le soir.

Semis de carottes - Ferme de Videau
Semis de carottes dans compost de déchets verts

Je m’attelle maintenant à la création du site web de la commune de Villebramar. Puis je réalise le premier semis de carottes (napoli F1) de l’année, toujours sous tunnel, à travers du compost de déchets verts. Roulage, arrosage, et pose d’une bâche noire pour conserver l’humidité jusqu’à la levée: à part le semis proprement dit, réalisé à la main, je me flatte de la sophistication d’un tel itinéraire technique, qui ne peut que donner de bons résultats! On fête ça, et tout le reste, le samedi soir avec quelques voisins chez Huguette, laquelle a préparé un coq au vin et, pour me faire plaisir, des cardes de son jardin. Et puis, pour le folklore, on s’engueule à propos de politique, car les contestataires à la réforme des retraites n’ont pas du tout la cote autour de la table.

Début de semaine suivante, je reçois la visite de Benoît, horticulteur de son état, et ensemble nous vérifions les derniers détails de mon planning de culture. Benoît assurera le semis de la première série de légumes fruits (tomates, aubergines, courgettes…) et celui de la totalité des laitues, poireaux, choux et épinards. Faute d’une serre à semis digne de ce nom à la ferme, je préfère, cette année encore, sous-traiter le plus gros de ce travail. Ce qui me laisse tout de même une jolie liste d’espèces pour mon compte, tels que haricots, carottes, aromatiques… que je m’empresse aussitôt de commander auprès de mes semenciers favoris. Et le vendredi, un copain maraîcher de La-Sauvetat-du-Dropt m’emmène à Bazas, où nous prenons livraison de pommes de terre primeurs arrivées de Bretagne. Ça commence à s’animer!

Au marché de Villeneuve-sur-Lot, en attendant, c’est la dèche. L’automne au jardin a été délibérément mis entre parenthèses, et la production est à l’avenant: salades encore petites, épinards une semaine sur deux. Les blettes et oignons se font attendre. J’ai les courges de chez Sabine à Tombebœuf, et notre stock de tomates en conserve, mais ça ne durera pas. Mon étal est réduit à sa plus simple expression et cette période de creux s’annonce longue, très longue, avant l’arrivée des légumes de printemps. Avantage: les récoltes sont vite expédiées et j’en profite pour revenir petit à petit sur l’interminable todo list de la ferme, à commencer par un grand ménage dans la grange, un maniaque rangement du matériel agricole et même un plafonnier dans l’atelier pour y voir plus clair.

Batavia magenta - Ferme de Videau
Salades encore petites

Samedi 25 janvier, il restait à Sandie un stock de fromage: on reçoit donc à la maison pour une fondue savoyarde mais gasconne sans engueulade. Le lendemain, c’est Sandrine qui nous rend visite. Et le soir venu, on prend les mêmes que la veille et on recommence, cette fois pour un apéro au golf de Tombebœuf, dont nous espérons qu’il deviendra un rendez-vous hebdomadaire, genre de bar des copains du dimanche soir, où bien sûr on baragouine anglais, south-west style. Le jour-même, j’avais remplacé la bâche qui fermait tant bien que mal la vidange des toilettes sèches par une vraie double-porte en bois de placard. Quel rapport? Aucun! Simple hasard du calendrier, et quand même pour dire qu’entre deux apéros, on travaille aussi le dimanche.

Derniers jours de janvier, Laëtitia se rend à ses rendez-vous habituels, expédie de la paperasse et rencontre la banquière pour renégocier le crédit immobilier. Je bine les oignons primeur, taille et éclaircis les fraisiers. Le rangement du matériel prend fin, pile à temps pour faire bonne figure à la réunion de notre petit groupe de «maraîchers petite surface» du Lot-et-Garonne, poignée d’agriculteurs souvent en reconversion, laquelle réunion a lieu cette fois chez nous, autour d’un repas partagé après la visite de la ferme et des échanges techniques roboratifs. On est heureux de se retrouver. L’occasion de se refiler les meilleurs tuyaux, organiser des achats groupés, se souhaiter bon courage pour la saison… se sentir moins seul, quoi. On jure de se revoir vite. Mais le tic-tac infernal de la reprise de la saison nous en laissera-t-il le temps? Tic-tac, tic-tac… Février, déjà!