Du 1er décembre 2019 au 1er janvier 2020
La fin du dernier épisode de cette chronique date du 10 novembre. Peu après, nous nous envolions vers le Portugal pour un changement de décor bien mérité, ce qui justifie cette ellipse de quelques semaines. Puis nous étions de retour dans la grisaille, délestés cependant de nos soucis quotidiens, lestés en échange de quelques souvenirs de ruelles carrelés, de ruines antiques, de grands poissons grillés et de flore exotique. Pour aborder la dernière ligne droite. Et songer à nos premières résolutions.
Le 1er décembre, je faisais irruption dans les tunnels pour une tournée d’inspection. Les blettes avaient repris du poil de la bête après deux traitements au soufre contre une maladie cryptogamique, les oignons primeur faisaient leur petit bonhomme de chemin mais les épinards n’étaient pas encore prêts pour deuxième récolte. Je binais les deux premiers et couvrait les derniers d’un voile de forçage. En revanche, j’escamotais celui posé sur les laitues avant notre départ, car le manque de ventilation pendant deux semaines d’une météo particulièrement humide avait favorisé une attaque de botrytis.
Côté rangement, il y avait du pain sur la planche. Côté bureau, je mettais une touche finale au site web d’un lycée parisien, concoctais le flyer du goûter de Noël de Villebramar et passais commande de plants de pommes de terre à Payzons Ferme, en Bretagne. Au marché, je vendais quelques potimarrons rouges achetés à la voisine Sabine et les curieux radis glaçons (alors que j’avais semé des graines de radis rose, c’était une surprise) trouvèrent finalement preneur. Je prenais le temps de rempoter les cadeaux de Jojo, le copain horticulteur: un psyllium rouge, un yuzu et un poivrier du Timut. Les feijoas et les grenadiers s’intègreraient dans la future haie champêtre que nous devions planter avant la fin du mois.
Justement, quelques jours plus tard, Laëtitia prit livraison d’arbres forestiers commandés à une pépinière de Miramont-de-Guyenne. Je chargeais des roundballers de paille chez le voisin Pépito, un à la fois, avec notre remorque. On installa des lignes de goutte-à-goutte à l’emplacement des haies. Ce week-end-là, aidés de nos voisins Baptiste et Gildas, on déroula les bottes de paille, on dispatcha les arbres selon les séquences établies par l’ACMG, association qui avait élaboré le dossier de subvention, et je plantais personnellement les arbustes, grâce à une fente ménagée à la fourche-bêche dans le sol humide. À la fin, nous avions largement compensé les quelques arbres abattus sur la propriété avec notre nouvelle haie champêtre de 230 sujets!
Camerisier, aubépine, prunellier, noisetier, nerprun alaterne, laurier tin, pommier sauvage, genêt d’Espagne, érable champêtre, merisier, figuier… allaient constituer un rempart végétal dense qui ferait à la fois office de barrière biologique avec la parcelle du voisin, en agriculture conventionnelle, mais aussi de réserve de biodiversité propre à héberger oiseaux et insectes, de brise-vent et de piège à chaleur. Le panorama de la ferme de Videau en serait grandement modifié dans les prochaines années. Ne restait plus qu’à envoyer la facture aux services du conseil départemental, qui émettrait la subvention de 2,80€ par arbuste planté… et prier pour une bonne reprise des racines avant le printemps.
Au marché, les laitues attaquées par le botrytis finirent en mesclun rouge et vert et les radis glaçons avaient trouvé des fidèles. La méthode de plantation des poireaux (à la Jean-Martin Fortier) avait donné de bons résultats malgré un rendement très inégal. On arrivait hélas déjà à la fin de la culture et les dégâts de la mouche du poireau étaient de plus en plus nombreux. Mais quelques beaux et longs fûts blancs m’attirèrent quelques compliments. La taille de mon étal avait fondu, mais l’un dans l’autre, la centaine d’euros de chiffre méritait le déplacement hebdomadaire, et je fidélisais lentement mais sûrement. À la ferme, c’était une autre histoire. Les commandes de paniers de légumes bio tournaient au ralenti.
La grossesse de Laëtitia se passait sans incident, à part un mal de dos chronique. Occupations de maman: balades avec la voisine elle aussi enceinte, séances d’aquamaternité à la piscine de Marmande, rencontres avec la sage-femme, et l’incontournable cours hebdomadaire de chi-qong. La documentation relative à l’usage de couches lavables pour bébé lui prit pas mal de temps. Notre nouvelle voisine Marion, couturière de son état et qui retoucha les pantalons de grossesse, était pressentie pour la réalisation de ces habits anti-fuite et anti-gaspi. Côté mobilier, on récupérait une table à langer grâce à la copine Sandrine. Christine et Michel, d’Agen, livrèrent un beau chargement de fringues et de jouets pour bébé.
Je retournais devant l’écran: il fallait avancer coûte que coûte sur la refonte du site web du golf de Tombebœuf, avant que l’arrivée de notre fille et le début de la saison de maraîchage n’affecte ma santé mentale. Malgré son état, Laëtitia donnait un fier coup de main pour l’installation des arceaux de deux nouveaux tunnels de culture. La bâche plastique était livrée, ne restait plus qu’à la mettre en place, et vite, car le sort des patates primeur en dépendait. Le 18 décembre, jour de marché à Villeneuve-sur-Lot, on fit nos emplettes avant Noël chez les copains: bonnes bouteilles du domaine de Pichon, pruneaux de reine-claude de Karina, gants et béret en mohair de Carine, rillettes et galantine de poulet de Cathy…
Ce jour-là, je me fis dédicacer Famille en transition écologique de Benjamin Pichon, lequel fait un constat chiffré alarmant de la situation mondiale. En France, chacun de nous produit l’équivalent d’environ 21 tonnes d’émissions carbone par an, contre un objectif de 2,1 tonnes si on veut limiter le réchauffement climatique à 2°C avant la fin du siècle. Découverte de taille: la moitié de ces émissions est liée aux placements dans les énergies fossiles opérés par nos banques… avec nos économies! Au même moment, l’Australie s’embrasait et Sydney frôlait les 50°C. Mais les climatiseurs continuaient de tourner à plein régime. Ce guide constituait donc un paquet de résolutions nécessaires, dont l’objectif zéro déchet était seulement l’amuse-gueule.
On prit pourtant la bagnole, car on avait des meubles d’occasion à charger, pour rejoindre la famille près d’Avignon. Deuxième opportunité de vacances, bien employées à mettre les pieds sous la table avant Noël et potasser la planification de la saison de maraîchage. Entouré de catalogues de semences (Agrosemens, le Biau Germe…), je noircissais les cellules d’un fichier Excel en tentant de résoudre le casse-tête des rotations et des associations des cultures. À notre retour dans le Lot-et-Garonne, toujours ce plafond bas et humide qui bloquait de nombreux travaux. J’avais eu le temps de planter la moitié de l’ail avant notre départ, mais les deux nouveaux tunnels n’étaient toujours pas prêts!
Heureusement débarqua en renfort Alex, notre ex-WWOOFeuse et copine de Périgueux… bien opportunément le jour du réveillon, avec quelques bouteilles sous le bras pour entretenir sa réputation. Réveillon chez nos voisins Sandie et Damien, où l’on plongea dans un jacuzzi de fortune constitué d’un radiateur en fonte au milieu d’un brasier relié à une cuve en bois, dehors sur la terrasse, par 5°C. Finalement, il n’y eut pas de bonnes résolutions. Le temps était plutôt à l’insouciance, car on avait déjà fait un bon bout de chemin et un programme chargé nous attendait en 2020. En tous cas, on pouvait au moins se féliciter d’avoir atteint un de nos objectifs dans ce coin de campagne: se trouver des amis, et des bons!