Plus jamais froid

Pose pare-vapeur - Ferme de Videau

Du 14 octobre au 10 novembre 2019

C’était l’automne des survivants. Débora, notre WWOOFeuse, se retrouvait seule à la ferme après le départ des autres membres d’une belle et grosse équipe. Côté chantiers, le planning n’était pas encore vierge, mais les mortelles péripéties de cette première saison à la ferme avaient presque eu la peau de notre motivation. Il fallait pourtant boucler la préparation de la saison prochaine, enterrer l’irrigation et surtout, achever l’isolation de l’étage! À demi morts, on songeait plus que jamais aux vacances, mais on eut quand même de beaux soubresauts. Après ça, on s’est dit, plus question d’avoir froid.

Lundi, j’embauchais Débora pour épandre le compost de déchets verts tout juste livré sur les 15 nouvelles planches du jardin. Le sol avait été copieusement enrichi en fumier avant la formation des buttes, mais je voulais maintenant apporter une matière essentiellement carbonée, utile à la formation d’un humus stable et donc à l’amélioration de la structure du sol. Grosso modo, le fumier pour nourrir le sol, le compost de déchets verts pour l’alléger. À la brouette, nous déplaçâmes le fin compost de couleur foncée, semblable à du charbon, pour en recouvrir la future parcelle d’une couche de quelques centimètres. Ça nous prit la matinée. L’après-midi, je récupérais chez l’ami Damien un rab de son mélange d’engrais vert, dont j’avais déjà ensemencé les anciennes planches de patates (futurs oignons) avec un succès mitigé puisque on n’y voyait pour l’essentiel que de la moutarde et un peu de trèfle, et très peu de vesce et de mil. Le soir même, on accueillait la danoise Helen pour un WWOOFing à durée indéterminée.

Engrais vert dans compost - Ferme de Videau
Semis dans compost de déchets verts

Helen est fille d’éleveurs et la vie à la ferme n’avait pas de secret pour elle. Elle fit pourtant une expérience inédite avec le conditionnement de quelques bocaux de piment extra fort à destination des donateurs de notre campagne de financement participatif. Le lendemain, pendant que j’emmenais Débora au marché de Villeneuve-sur-Lot, elle accompagna Laëtitia à la déchetterie, puis l’aida à installer des renforts sous l’isolant de la grange, car depuis que nous avions mis en standby le chantier du futur gîte les plaques de laine de bois rentrées en force entre chevrons avaient tendance à se décoller et pendre vers le bas. Las, cette vie-là n’était pas de son goût et Helen repartit le jour suivant à destination de son précédent lieu de WWOOFing, plus fréquenté et plus cosmopolite, par le même train que Débora qui se rendait de son côté chez un éleveur des Pyrénées. On fit place nette à l’emplacement du campement des WWOOFeurs. Pour la première fois depuis longtemps, nous nous retrouvions seuls à la maison.

Le village de Villebramar comptait maintenant deux nouveaux habitants, en la personne de Marion et Baptiste. Nous avions des connaissances en commun et le couple vint nous rendre visite en échange d’un panier de légumes bio du jeudi soir. La commande des paniers ne décollait pourtant pas et je songeais à refaire un peu de pub et délocaliser la livraison, au golf de Tombebœuf, par exemple… L’offre était limitée aux tomates, pommes de terres courges et laitues, et ne déplaçait pas les foules. Il fallait soit augmenter la diversité, soit se rapprocher des clients. En attendant, démarrait un chantier qui allait simplifier le quotidien au jardin: l’enfouissement des conduites d’irrigation. Le 17 octobre, la mini-pelle de «Criquet» creusa plusieurs dizaines de mètres de tranchées. Je commençais ensuite à y déposer les tuyaux existants, mais il en fallait d’autres. Et surtout, je devais déplacer la commande et les câbles électriques de la pompe avant de tout reboucher. La mini-pelle s’en fut, et les tranchées restèrent ouvertes.

Gaine d'électricité - Ferme de Videau
Déplacer une gaine, ça peut faire péter un câble

Avant le week-end, on disait adieu à la douche d’été, inaugurée avant ma fête d’anniversaire en juillet, mais qui avait perdu beaucoup de son attractivité depuis. Je voulais recycler son ossature en bois d’acacia dans une autre construction à deux pas de là: l’abri pour la commande électrique et la minuterie de la pompe, plus près de la maison, m’économiserait probablement chaque année quelques kilomètres cumulés de marche à pied jusqu’à l’abri de la pompe elle-même, situé sur la rive du lac. Je semais des radis en plein champ, ainsi qu’une bonne dose d’engrais vert (pour moitié du mélange donné par Damien, l’autre moitié de seigle du Biau Germe) sur les 15 nouvelles planches, directement dans le compost de déchets verts, car la météo prévoyait de l’eau les jours suivants. Laëtitia fit un peu de baby-sitting, on participa à une raclette party chez Sabine et Gildas et le dimanche on fêta l’anniversaire du petit Gabin chez nos voisines. Mais je déclinais une invitation à un brunch carnivore devant un quart de finale de la coupe du monde de Rugby chez Garonnais car j’avais encore du boulot. Avec les lames de l’ancien plancher de l’étable et de vieilles tôles ondulées, j’achevais mon abri avant le soir.

Le lendemain lundi, c’était le retour d’Anthony, stagiaire en BPREA à Sainte-Livrade. Je lui confiais l’arrachage des poivrons sous tunnels, celui des tomates près de la maison (qui avaient pourri avant de mûrir) et le tri de graines dans les fleurs fanées de tagètes, pendant que je finalisais le branchement électrique entre la pompe et sa commande à distance dans le nouvel abri. Ça tournait! Mais l’affaire n’était pas terminée: avant de reboucher les tranchées il fallait y installer un nouveau réseau d’irrigation, et tirer l’eau potable jusqu’au lac. Quelques allers-retours en ville plus tard, on avait tout le matériel nécessaire et j’avais moins de raisons pour pester contre les vieux raccords qui se grippent et les nouveaux qui fuient. Avec Anthony on déposa du compost sur quelques planches désormais vides sous les tunnels pour y semer directement, quelques jours plus tard, des carottes Napoli F1 et le même mélange d’engrais vert que précédemment. Le vendredi, on nous communiqua le scoop du cœur tant attendu: le bébé que Laëtitia attendait depuis maintenant 5 mois se portait bien… et c’était une poulette!

Quand même, ça faisait pas mal de bonnes nouvelles pour une seule semaine. D’abord, nous hébergions à nouveau le duo de choc composé par Max et Flo. Ensuite, ces deux-là venaient de recevoir l’accord du propriétaire de leur pied à terre champêtre en Dordogne pour s’y installer pendant au moins deux ans. On allait être voisins! Et pour finir, avec ce supplément de main d’œuvre efficace, nous allions pouvoir démarrer la touche finale du chantier d’isolation à l’étage: mettre au point une méthode de pose d’un pare-vapeur sous les panneaux de laine de bois qui là-aussi commençaient à se casser la gueule, puis tenter d’installer des rouleaux de canisses en guise de parement. Et si, pour finir, le rebouchage des tranchées à la pelle dans une terre rendue collante par une explosion de pluviométrie ne se présentait pas comme une partie de plaisir, ça sonnait aussi comme un nouveau défi sportif à relever pour nos deux experts, et la chose irait de toute façon plus vite en équipe.

Chose promise, etc. Max et Flo passèrent quelques jours à l’étage équipés d’une visseuse et d’une agrafeuse, faisant du bon boulot. Les gaines et les tuyaux d’irrigation installés, le filtre à tamis branché, je raccordai le reste et ces jours-ci l’emploi du temps d’Anthony consista en grande partie à combler ces maudites tranchées. Max et Flo s’en furent en Dordogne car je leur avait glissé que désherber et occulter une partie de leur terrain en prévision du démarrage d’un potager au printemps serait une bonne chose. Ils firent le plein de bâche d’ensilage de récup’ chez le voisin Pépito, on prêta la débroussailleuse. À leur retour, je les impliquai à leur tour dans le rebouchage des tranchées. Gros coup de barre pour tout le monde. «Criquet» revint avec un autre modèle de pelleteuse, et creusa un beau fossé en forme de V qui devait drainer l’eau de ruissellement du chemin communal vers le lac. Enfin, je passai commande de 230 arbres forestiers, lesquels constitueraient nos futures haies champêtres subventionnées par le département du Lot-et-Garonne. Encore un gros chantier en perspective avant les vacances.

Vanne d'irrigation - Ferme de Videau
Tranchée refermée, vanne ouverte

Le jardin n’était pas mort, bien au contraire. La pluie l’arrosait abondamment et l’engrais vert poussait. Laëtitia, à qui échoyait la responsabilité de dénicher couches lavables, écharpe de portage, table à langer, en plus de celle de la logistique pour tout le matériel nécessaire aux chantiers en cours, assista aussi Anthony dans le tri des caïeux d’ail en prévision d’une plantation pourtant bien improbable vu la météo. On avait tout juste eu le temps de semer les fèves d’Aguadulce en conditions sèches, même si j’avais manqué de graines et qu’il faudrait remettre ça. À l’abri des tunnels, par contre, on pouvait tranquillement planter une deuxième série d’épinards «géant d’hiver». La voisine Huguette donna des tomates et je chargeai Laëtitia d’en tirer et nettoyer les graines. Et puis débarqua Théo, que notre annonce de chantier participatif isolation sur Twiza avait intéressé. Avec une formation de paysagiste chez les compagnons en poche et quelques années d’expérience professionnelle, Théo projetait un petit tour de France des chantiers en vue d’accumuler des savoirs-faire au service d’un projet d’éco-hameau. Il allait rester une semaine.

Théo était l’homme de la situation. J’eus quelques difficultés à l’admettre, mais ses compétences et son habileté étaient plus utiles à l’exécution du chantier que les miennes. À part un petit tour au jardin pour remplacer un arceau de serre abîmé et arracher les plants de tomates (ultimes cultures de la saison passée), ensemble nous ne quittâmes plus l’étage de la maison. Les délais furent tenus et l’étanchéité à l’air de l’isolation tout à fait achevée le 9 novembre, jour d’arrivée des parents de Laëtitia pour le week-end. Théo repartit vers d’autres horizons participatifs, avec un détour par Agen pour déposer notre visseuse hors-service, cuite après deux ans de service intensif, au SAV. Entre temps blondinette avait préparé des colis de sauce piment extra fort pour nos contributeurs du financement participatif et donné un cours de français à notre voisin Michael. J’avais aussi planté des oignons blancs «premier» et récolté mes premiers poireaux, encore des «géants d’hiver», qu’une cliente sur le marché de Villeneuve-sur-Lot trouva «trop gros».

Poireaux géant d'hiver - Ferme de Videau
Ces poireaux sont trop gros

Hélas, le semis de carottes avait morflé avec le grand retour des limaces, et les blettes souffraient de la présence d’un champignon non identifié, peut-être du mildiou. Ces tracas furent nuancé par le fier coup de pouce donné par les beaux parents qui nettoyèrent de fond en comble le chantier isolation officiellement terminé, déménagèrent le matériel, assemblèrent quelques meubles et installèrent notre chambre à l’étage pour l’hiver… jusqu’à la reprise du chantier au printemps. Indéniablement, on y voyait déjà un peu plus clair. Je retournais au jardin, y plantais une planche de laitues, nettoyais le tunnel des tomates et y passais la grelinette. Je profitais d’une journée ensoleillée pour compléter le semis de fèves et le voisin Yves se proposa de passer la charrue là où je voulais planter des pommes de terre, parcelle semée en luzerne 2 ans plus tôt. La semaine s’achevait sur un pari météorologique à l’ancienne, celui de l’effet du gel sur la terre labourée. Bois stocké, isolation refaite, notre nid douillet commençait à l’être. On pouvait donc, sans frémir, appeler de nos vœux le froid le plus terrible.

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