Du 1er au 14 avril 2019
C’est le printemps! Les bourgeons s’ouvrent, les insectes bourdonnent, le soleil réchauffe la couenne. Les jours s’allongent et les tâches se bousculent dans l’agenda. Le calendrier est impitoyable, nous avons du pain sur la planche. Mais le hasard fait bien les choses: après le départ des beaux-parents, débarquèrent alors deux WWOOFeurs. Eux-même suivis par deux autres beaux-parents. Et les beaux-parents, c’est pas moche, car c’est utile. Il en faudrait plus. Mais ça nous faisait déjà pas mal de main d’œuvre, qu’il n’est pas si facile d’employer à bon escient. Vous verrez que nous relevâmes brillamment ce défi.
Un WWOOF de soulagement
Présentons nos valeureux WWOOFfeurs cyclistes, Delphine et Lambert, dont la traversée du continent américain à vélo depuis le mois de septembre 2017 méritait à ce point un blog qu’ils eurent justement cette idée: raconter leur périple. Habitués à soulager leur hôtes en échangeant la force de leurs bras contre gîte et couvert, ils allèrent aux champs comme les auvergnats vont au saucisson. Nous les embauchâmes au saut de la selle, pour ainsi dire, car le beau temps nous était compté avant la pluie annoncée. Nous installâmes des asperseurs à l’extérieur, nous épandîmes de nombreuses brouettes de fumier fraîchement livré à domicile à l’emplacement des futures plantations, notamment les pommes de terre. Enfin, on faucha l’engrais vert (à la faux), qu’on broya (à la tondeuse), qu’on incorpora (au motoculteur) et qu’on couvrit d’une toile hors-sol pré-percée pour la plantation des courges en mai. Le voisin Yves vint gentiment passer le girobroyeur dans les grandes largeurs un jardin, lequel commençait à ressembler à une friche. Ouf, il pouvait pleuvoir.
La pluie, ça rouille
Et en effet, il plut. Nous attendions quelques gouttes, et nous nous étions dépêchés d’installer une ligne d’asperseurs supplémentaire pour copieusement mouiller l’engrais vert broyé. Mais les averses se succédèrent et le pluviomètre monta presque à 20mm. Qu’à cela ne tienne: la main d’œuvre c’est comme les outils, ça rouille si on ne s’en sert pas. Je sonnais l’ouverture de la chasse au sorgho d’Alep, une invasive à la sinistre réputation dont je voyais les chaumes proliférer au milieu de notre semis raté de luzerne. Puis je chargeais mes parents de rassembler en tas, de façon stratégique, les restes de taille d’arbustes qui seraient autant de refuges à insectes. À Tonneins, j’achetais une sauge originale (Wendy’s Wish), une oxalis à fleurs jaune et une plante grasse pour maman dont c’était l’anniversaire, et ramenait aussi une centaine de choux pointus, aussitôt plantés sous abri. Laëtitia restait au chaud pour démarcher des entreprises avec son massage Amma assis.
Le lendemain, elle se rendit à Toulouse pour assister à une formation de pratique énergétique. De mon côté, je faisais la navette entre deux infographies (site web du Golf de Tombebœuf et flyer pour toilettage canin, puisque vous voulez tout savoir) et les tunnels de culture où j’avais prévu d’installer des fils de fer, supports pour le palissage des tomates et concombres. Les beaux-parents rebouchaient la tranchée destinée aux bambous et canisses, mais sans barrière anti-rhyzome, donc creusée pour rien, sinon par amour du sport. Un gros rouleau de scotch plus tard, Delphine et Lambert raccommodaient aussi les petits accidents survenus dans les tunnels. Ah, ces deux-là allaient nous manquer. Pas seulement en leur qualité de forçats providentiels, mais aussi en tant que colocataires énergiques, de convives cultivés et d’amateurs de cuisine (Lambert fait tous les jours le pain d’un levain qui a traversé l’Amérique).
Grains du père, graines du Pérou
Nos deux cyclistes envolés pour le marais Poitevin, restait à occuper les beaux-parents avec, pour commencer, une nouvelle salve de plantations. Historique, la salve: les premières tomates sous serre de la ferme de Videau! Et une nouvelle série de melons. On semait aussi des courges, encore d’autres melons, des piments aji ramenés du Pérou, et des haricots verts Calypso en pleine terre. Le week-end, on profitait du soleil pour billonner un grand chêne que le voisin Pépito avait dégagé d’un chemin communal et laissé là à mon intention. Je tronçonnais, les parents chargeaient la remorque. On suait à grosses gouttes. Après ça, on se remettait de nos émotions en ouvrant une bouteille de grains du Luberon ramenée par mon père. Y avait de la soupe d’ortie dans l’assiette, et de la tisane d’ortie pour les plantes, en pulvérisation du soir.
Laëtitia pratiquait ses trois massages hebdo sans forcer. Un nouvel événement allait peut-être lui permettre de gonfler son activité: une «bourse aux dépliants» organisée à Lauzun lui donnait l’occasion de se présenter à de nombreux professionnels du tourisme. C’était chic et mondain, en tous cas davantage que le traitement contre la pyrale du buis, en bottes et gants latex, qu’il fallut effectuer à son retour. Ainsi va le récit d’une reconversion faite d’allers-retours entre deux ambiances, du projet d’entreprise, ses démarches administratives et son vernis commercial, aux contingences les plus campagnardes, récit auquel nous ajoutâmes un chapitre en répondant, entre deux passages de motoculteur, à une interview pour France Inter au téléphone, et en guidant la correspondante locale de la Dépêche du Midi (en espadrilles, mais qui en avait vu d’autres) au milieu des hautes herbes pour une session photo.
Je reçus la visite de mon contrôleur Ecocert, lequel ne vit pas d’objections au fait de me délivrer un certificat pour ma deuxième année de conversion en agriculture biologique, et me félicita pour le fichier Excel dans lequel je planifiais mon calendrier de culture, reflet excessivement rectiligne d’une réalité beaucoup plus aléatoire, dans laquelle les actions sur le terrain précèdent parfois leur inscription au programme, et où les imprévus sont légion.
Le retour du charpentier
La deuxième semaine s’acheva par une demi bonne nouvelle, celle du retour du charpentier, venu réparer les bévues du chantier de la grange, bâclé des mois auparavant, alors que nous envisagions des poursuites. Fidèle à lui-même, il abandonna à nouveau l’intervention à mi-course, mais son échafaudage laissé sur place nous permettait d’espérer. Les travaux des champs ne cessèrent pas, ils ne le feraient d’ailleurs pas avant longtemps: préparation des planches de culture, débroussaillage (avec une machine Honda flambant neuve), pose de paillages synthétiques et de filets anti-insectes. Les asperges donnaient plus que jamais, mais la première vraie botte alla illico à mon voisin Éric, qui avait l’immense mérite d’avoir révisé comme un pro mon antédiluvien motoculteur, et qui acceptait d’être payé en nature. Ce jour des asperges vertes serait à marquer d’une pierre blanche: c’était bien la première fois que je réglais mes dettes en légumes!