En avril, tu perds le fil. En mai, t'es déjà en juillet.

Plantation pommes de terre - Ferme de Videau

Du 1er avril au 26 juillet 2020

Pfuit, quatre mois se sont écoulés depuis la dernière chronique de ce blog. Quatre mois de plus pour la petite Anaïs, née le 26 février juste avant le confinement, qui mobilise toute l’énergie de sa maman et refuse toujours de prendre le biberon. Pour Laëtitia, c’est un boulot à plein temps. Pour le papa, le jardin est comme un deuxième bébé dont il faut s’occuper chaque jour. Quand la belle saison revient, le temps libre se fait la malle. L’épidémie de coronavirus bat son plein, et la visite des parents, beaux parents, copains et WWOOFeurs est reportée. En bref, on est débordés! Heureusement, bébé et plantules poussent avec entrain. Et de cette époque agitée, nous n’avons pas manqué de noter les rebondissements dans notre carnet de bord.

Promenade à la Ferme de Videau
La ferme de Videau au détour du sentier (photo Céline Morançay)

Avril, c’est le début de la saison des fraises ciflorette que nous avions plantées en septembre. Résultat, elles sont délicieuses, bien que moyennement productives. C’est une année spéciale pour les fraises, d’après le voisin Garonnais qui en produisit à échelle industrielle. Il fait anormalement chaud: 24°C. J’ajoute une mention «stock très limité» dans l’email hebdomadaire de commande de paniers de légumes, car les fraises s’arrachent bien trop vite. À la ferme, d’abord, et aussi à la ferme de Nicoy de Pujols, chez Cathy et Michel Artisié, où je livre tous les dimanche pour compenser la fermeture du marché. En début de semaine, je livre quelques habitants de Villebramar. Le mercredi, l’ami vigneron Jacques Réjalot réceptionne quelques paniers de légumes à Tonneins pour ses voisins. Je troque le sien contre des bouteilles. On se débrouille comme on peut.

Le chantier pommes de terre se profile. C’est évidemment le moment que choisit le motoculteur pour tomber en panne. Le 11 avril, Laëtitia me file un coup de main pour planter 100kg de tubercules. J’ai récupéré ma machine et j’attelle une paire de socs flambants neufs, mais dans notre sol lourd en dévers, je n’arrive pas à butter les rangs correctement. Crise de nerfs. Finalement, le lendemain, je suis bien obligé de butter à la main ces 400m2 de pommes de terre. Nouveau chantier: le 17 avril, Sarah m’épaule pour la plantation des oignons. Nos voisins ont accepté de nous prêter leur stagiaire, et grâce à ce mercado paysan nous repiquons 2000 mottes dans la journée. Vite, vite, la météo annonce de la flotte! Le soir même, un orage éclate. Je fais le V de la victoire. Sarah est épatante, elle reviendra: on plantera des aubergines, des poivrons, on repiquera des tomates et des fleurs.

Barquettes de fraises ciflorette

Le 23 avril, je livre mes premières commandes depuis cagette.net, une plateforme de vente directe. La commune de Pujols (47), toujours privée de marché, m’a sollicité pour rejoindre un groupe de producteurs. Dans ce drive improvisé, on distribue des paniers de légumes, œufs, fromage, miel, confitures… Est-ce un nouveau modèle pour l’après COVID? Une chose est sûre: quand les marchés reprendront (s’ils reprennent), je vais manquer de légumes, car mon stock n’est pas extensible à l’infini. Tous, on navigue à vue. Mais on garde le contact avec nos clients. Le lendemain matin, c’est relâche. Promenade avec Anaïs, un peu d’écran, et cuisine en famille. L’après-midi à la ferme de Caillou, cueillette et préparation d’extrait fermenté d’ortie et consoude (purin), en contrepartie d’un “emprunt” de stagiaire pour mes propres travaux à la ferme. On boit l’apéro tous ensemble, malgré le confinement.

Fin avril, les aubergines sous abri ont manqué d’eau et font la gueule. Dehors, le temps est passé de la canicule à la pluie permanente: il pleut, il pleut, il ne fait que pleuvoir. Près du lac, la pompe déconne à nouveau et avale de l’air, malgré le démontage et remontage complet des raccords avec pâte à joint. Les pucerons ont fait une entrée fracassante dans les concombres. Bref, c’est la déprime. Qui ne dure jamais longtemps: le 3 mai, c’est la réouverture du marché de Pujols (47) et je vends tout mon stock, dont des pots de basilic grec à repiquer. Les paniers de légumes ont la côte et je me réjouis d’avoir réussi mes carottes, dont les bottes s’arrachent. J’ai nettoyé la crépine de la pompe, plus de problème. Alexandra, notre pote de Périgueux, est de passage à la ferme. Et le beau temps est revenu, 26°C au thermomètre. Comme notre moral, d’un extrême à l’autre!

Retour au marché bio de Villeneuve-sur-Lot (photo Céline Morançay)

Lundi 11 mai, c’est la fin du confinement. Anthony est sur place à 8h pour achever sa dernière semaine de stage dans le cadre de son BPREA. On sème des haricots, du soja, des carottes. On plante des melons, des concombres, des laitues. On arrache les blettes, les fèves (qui n’ont rien donné, la faute à la pluie?), on désherbe, on paille. Je vais tout seul au marché bio de Villeneuve-sur-Lot, qui vient de rouvrir, et où j’ai peu de marchandise, à part des laitues et de jolies bottes de betteraves. Trop facile, je vends tout. On cuisine avec Alexandra: carrot-cake et shortbread aux fraises (j’ai une super recette). Le samedi 16 mai, on rend enfin visite à deux ex-WWOOFeurs, Flo et Max, lesquels se sont installés en Dordogne dans une yourte et sur un terrain qu’on leur prête. En bon pote âgé, je donne quelques tuyaux pour le jardin.

Le 18 mai, je reçois la contrôleuse d’Ecocert pour un audit annuel. Tout ce qui a été semé ou planté après le 2 mai 2020 peut désormais recevoir la mention «agriculture biologique». Anaïs est née en février, elle fait donc exception, même si son environnement reste avantageusement préservé. Son lait maternel est un modèle du genre, et n’est que rarement pollué par de la nourriture industrielle. J’ai hâte qu’elle avale sa première purée de carottes du jardin. Elle est trop mignonne. Elle a les yeux et le sourire de sa mère. Le 20 mai, nouveau rendez-vous chez la sage-femme. Anaïs refuse toujours obstinément le biberon. Une absence de Laëtitia, partie livrée des paniers de légumes à Pujols, tourne au drame: Anaïs n’accepte aucun des récipients en plastique que je lui tends. Le confinement n’est plus qu’un souvenir (pour l’instant) mais la maman et son bébé son presque cloîtrées à domicile.

Gâteau aux fraises - Ferme de Videau
Des fraises pour fêter les 3 mois d’Anaïs

Le 21 mai, arrivée des parents de Laëtitia. Anaïs est confiée à sa grand mère pour des promenades à visée somnifère et François, comme d’habitude, exécute quelques bricolages et installe des moustiquaires aux fenêtres de l’étage. Le 23 mai, Edith de Moulinet me file un coup de main pour planter les tomates, tomatillos, physalis et aubergines de plein champ: 250 plants. Max, Flo et Ophélia font une descente depuis la Dordogne pour m’aider à butter une deuxième fois et pailler les pommes de terre. Encore une grosse journée. L’apéro du soir chez les voisins à Monbahus fait l’effet d’un coup de bambou. Le dimanche soir, on est invités chez les copains de Lou Cornal pour un repas paysan, histoire de compenser l’annulation pour raison sanitaires de la journée portes ouvertes de la ferme. Je récolte les premières courgettes et les premiers concombres. Au marché, j’encaisse entre 200 et 250€, à chaque fois. Les paniers à la ferme, environ 100€ par semaine.

Le 2 juin, une mini-pelle est à la ferme pour prolonger la tranchée d’évacuation des eaux pluviales de la grange vers le lac. Mine de rien, des aménagements avancent, mais le jardin prend tellement de temps que les autres chantiers sont au point mort, avec ou sans coup de main. Laëtitia est déprimée, elle se sent prisonnière, privée de vie sociale. Anaïs n’est pas facile à vivre. C’est un jour sans. Je promène notre bébé pendant que maman se repose. Deux jours plus tard, la déprime change à nouveau de camp: des larves de taupin (ou des mulots?) s’en prennent aux aubergines qui crèvent les unes après les autres, j’en suis malade. La plantation du basilic tourne court. Les doryphores se multiplient dans les patates. Rien ne va. Le vendredi, enfin, on peut faire la grasse mat’ jusqu’à 8h30. Mes parents débarquent le 7 juin, on va sans doute pouvoir souffler.

Compost de déchet-vert - Ferme de Videau
En famille dans le compost de déchets verts

Le planning est bien garni: mamie récolte les premiers haricots verts et les fraises, papy taille les bambous et le figuier. Il faut pailler les arbustes, les tomates de plein champ, les melons. Palisser les aubergines et les poivrons. Ramasses les doryphores avant de les brûler. Tous ensemble, on prépare un semis de sorgho en épandant plusieurs dizaines de brouettes de compost de déchet vert dans le tunnel n°4. Chaque année, je choisis de sacrifier une serre en n’y installant aucune culture, seulement des engrais verts, pour bien préparer la saison prochaine. On confie la cuisine à mamie. Finalement, mes parents repartent le lundi 15 juin. Mais les visites se succèdent: Sabine et Gildas venus chercher des carottes à vélo, Cécile et Alexandre dont le chien s’est enfui à Videau, la copine Sarah pour un séjour prolongé… Laëtitia refait le plein de lien social. Et se paie même le luxe de deux clientes pour ses massages bien-être, assez sympas pour se déplacer et garder Anaïs à tour de rôle.

Dimanche 21 juin, un grand jour! Juste le temps de rentrer du marché, d’engloutir le chouette couscous de Sabine et je file à Marmande cueillir nos premiers WWOOFeurs post-confinement. Encore une fois, bonne pioche. Roxanne, Céline et Loup forment une bande de copains et une équipe d’enfer. Je sens le potentiel, car j’ai le nez fin. On a eu un mois de juin bizarrement trop frais, mais la chaleur est de retour et les premières activité démarrent sous le cagnard: désherbage, ramassage des doryphores, pose d’un voile d’ombrage sur les tomates. On teste la campagnole prêtée par Benjamin, un copain maraîcher. Il s’agit d’un genre de grelinette équipée de contre-dents qui permet d’ameublir le sol sans trop d’efforts. Le lac est envahi d’algues et la pompe fait encore des siennes. J’envoie Loup et Roxanne sur un bateau gonflable à la pêche au varech, pendant que Céline m’accompagne au marché. Quel bonheur d’avoir de la compagnie!

Campement wwoofing - Ferme de Videau
Les WWOOFeurs sont de retour! (photo Céline Morançay)

Manoue revient nous rendre visite pour s’occuper de sa petite fille. Laëtitia emmène sa chaise de massages Amma assis à l’EHPAD de Villeneuve-sur-Lot. Elle n’y fait pas de vieux os car Anaïs n’accepte toujours ni le biberon, ni la pipette, ni la cuillère, ni aucune de nos ruses de sioux pour seconder sa maman. Avec les WWOOFeurs, on se consacre au maraîchage. On récolte jusqu’à 15kg de haricots verts. On arrache l’ail. Ces trois-là commencent à bien se débrouiller. J’en profite pour commander 250 stolons de fraise bio, à planter en août. À nouveau, la pompe marche sur trois pattes. On remplace le tuyau d’aspiration, c’est pire. Je me résous à démonter le mécanisme, et découvre la turbine bouchée par du vieux foin. Que d’heures perdues! Pour la pâtisserie, c’est autre chose, on ne compte pas. Il se récolte encore suffisamment de fraises pour un bavarois. Le 26 juin, on fête les 4 mois d’Anaïs. Le 29 juin, ça fait pile 3 ans qu’on a acheté la maison.

Ce jour-là, nous sommes occupés à préparer la parcelle des poireaux et voyons le voisin Yves emprunter le chemin communal avec sa canne. Son tracteur a chaviré dans un fossé, sa main gauche est rouge de sang. Au urgences de Marmande, on le relâchera à 3h du matin avec quelques points de suture. Quelques heures plus tard, de bon matin, Yves a appelé du renfort et le tracteur est ramené à la maison, car l’herbe, cette idée fixe, n’attend pas. Il faut tondre, et tondre encore. Il faut dire que chez nous, c’est bien moins rigoureux: la prairie est envahie d’indésirables qui nous arrivent à la taille. Garonnais passera le broyeur… un de ces jours! En attendant, on court ailleurs: le 1er juillet, record de vente battu au marché bio de Villeneuve-sur-Lot en compagnie de Loup avec 424€ dans la caisse, et c’est aussi la première visite au marché pour Anaïs dans le porte-bébé de sa maman.

Plantation laitues - Ferme de Videau
On désherbe, on sème, on plante… et on arrose (photo Céline Morançay)

Roxanne a moins de chance, et doit courir derrière le fourgon alors que je prends la route pour le marché de Pujols à 6h45 du matin. Persuadé qu’elle est restée au lit, je n’entends pas ses cris dans le rétro, j’accélère et la renvoie à sa grasse mat’. À part ça, les journées se suivent et se ressemblent. Ophélia, Max et Flo sont à nouveau de passage. On sème, plante, on palisse, on taille, on arrose, on traite (contre l’oïdium, les pucerons, la pyrale du buis…), on débroussaille, on désherbe, on récolte, on bricole… et à table on s’en met plein la lampe. À partir du 6 juillet, nouvelle équipe de 3 WWOOFeurs: Anne, Luce et Flo succèdent aux trois larrons du mois de juin. La barre est haute! Vu le contexte sanitaire, une cure d’ail s’impose. Il nettoyer et trier les têtes avant de les mettre à sécher sur des claies à prunes. J’ai d’autres projets: plantation de choux et d’artichauts, quand le motoculteur tombe une énième fois en carafe au milieu du champ.

Les copines Anaïs et Oana, de Montpellier, font un séjour à la ferme. J’ai besoin de lâcher du lest, et saute sur la proposition de promenade à vélo jusqu’à Miramont-de-Guyenne. Lundi 13 juillet. Le motoculteur est au garage. Pour moi, c’est comme un dimanche, après tout. Bonne nouvelle, enfin: les stolons de fraise bio sont arrivés par la poste, je les emmène chez Benoît, mon horticulteur préféré, qui va les repiquer en godet jusqu’à la plantation définitive. À cet emplacement, on épand du fumier de cheval d’un haras voisin, du compost de déchet vert, on passe la grelinette. La prochaine saison des fraises sera une réussite ou ne sera pas! Laëtitia se rend chez ses parents près de Poitiers pour une semaine. À la réunion du comité des fêtes, on décide d’annuler la fête de Villebramar. Mais on maintient le marché gourmand, premier du genre, le 12 août. Il va falloir que je réfléchisse sérieusement à mon étal de plats végétariens. J’ouvre quelques bouquins de recettes.

Passage tracteur Kubota - Ferme de Videau
Le motoculteur est en panne, on me prête un petit tracteur Kubota (photo Luce)

Le 17 juillet, assisté de Flo, j’aménage enfin un regard à mi-chemin de l’évacuation d’eaux pluviales vers le lac, pour y brancher la descente du toit de la maison. C’est un petit pas pour les travaux publics, mais un grand pas pour la ressource en eau. Flo creuse aussi une tranchée qui reliera les lignes de goutte-à-goutte dans les haies champêtres. Pour la première fois, je livre des légumes au nouveau resto de Pujols, à tendance végé et bio. À mes heures perdues, je planche sur la communication du marché gourmand de Villebramar: flyers, affiches, communiqué de presse envoyés aux radios, journaux, offices de tourisme. Le COVID-19 rôde dans les parages, on annonce un cluster du côté de Bordeaux… Serait-ce un coup d’épée dans l’eau? Je suis une peu déboussolé. Les WWOOFeurs sont toujours aussi chouettes, l’invitation à un ciné de plein air chez les voisins est une aubaine, il n’empêche: l’absence de Laëtitia et Anaïs, en vacances à Poitiers, fait comme un trou dans l’univers.

Le 21 juillet, je suis toujours sans nouvelles du motoculteur et je choisis de me rendre au garage pour en avoir le cœur net. J’ai connu des mécanos plus professionnels mais celui-ci me garantit que les pièces sont commandées, et rattrape le coup en me prêtant un petit tracteur Kubota. Je vais donc pouvoir préparer la parcelle des choux. On épand du compost de déchet vert, dont j’ai refait le stock en me faisant livrer deux bennes de 13 tonnes chacune. Encore quelques passages de grelinette, d’autres passages de campagnole que, conquis par l’essai quelques semaines plus tôt, j’ai finalement acheté, et on sera fin prêt pour la plantation de crucifères. Luce et Flo auront vu le début, mais n’en verront pas la fin. Ils partent vers de nouvelles aventures (et des visites d’apparts dans la région). Entre temps, sans doute pour ne pas me m’abandonner à mon triste sort, Laëtitia est rentrée de Poitiers avec Anaïs. Et la ferme de Videau de retrouver ses cris, ses pleurs, ses engueulades et ses râleries… et les sourires désarmants d’Anaïs, qui prend désormais sa purée de carottes du jardin!

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