Du 12 août au 15 septembre 2019
Dans la chronique précédente, j’annonçais un ralentissement de la production au jardin, et la préparation en cours de la saison prochaine, à grand renfort d’épandage de fumier et de semis d’engrais vert. Mais en fait de ralentissement du rythme de travail, rien ne changea. Le chantier terre-paille à l’étage suivait son cours, et le réaménagement du jardin avant les pluies d’automne qui rendraient tout travail du sol impossible, ainsi que la planification de quelques cultures d’hiver, nous occasionnaient de belles journées de labeur. Heureusement, le WWOOFing à la ferme avait le vent en poupe, et nous trouvions de nouveaux candidats, venus de toute la France et même au-delà, au partage de ce quotidien agricole. Quand même, le mois d’août et la première quinzaine de septembre passèrent comme une flèche. Voici donc le résumé de cinq semaines de vie à la ferme de Videau. Notre rentrée littéraire à nous!
Pour commencer, une rapide présentation des derniers WWOOFeurs: Sandrine et Nicolas, volontaires chez les copains de Lou Cornal, avec en tête un projet de chèvrerie, vinrent nous rendre visite une journée. On échangea un long au-revoir avec Christelle et Vincent (stagiaire en BPREA maraîchage) avant leur départ pour Nancy. Dimanche 18 août, ce fut l’arrivée de Magdy, un réfugié soudanais hébergé jusque-là dans la Nièvre chez la copine Catherine. Magdy en avait vu des vertes et des pas mûres en deux ans de Libye, avec une traversée de la Méditerranée sur un navire peu orthodoxe, et toutes les galères que peut endurer un migrant débarqué sans rien en région parisienne. Magdy était un donc un WWOOFeur un peu particulier, sans travail et avec un petit pécule, à qui nous pouvions offrir un régime all-inclusive en échange d’une aide quotidienne.
Alexandra restait jusqu’à la fin du mois d’août et emportait le titre de dordognaise la plus cool du monde. Balthazar (encore un transfuge de Lou Cornal) arriva à la fin du mois et brilla deux semaines par sa bonne humeur. Marjolaine et Aymeric se portèrent volontaires pendant deux jours pour le chantier participatif d’isolation terre-paille, ainsi que la jeune Juliette, étudiante en agro, que j’employais aussi, justement, à quelques tâches maraîchères. Olivier était un provençal quittant Paris comme moi. Il nous rejoint avant la mi-septembre, avec une belle patate (et un goût prononcé pour l’ail). Tous firent connaissance avec de nombreux aspects de notre quotidien. La plupart m’accompagnèrent au marché bio de Villeneuve-sur-Lot et de Pujols.
C’est qu’en août, les récoltes battaient toujours leur plein. Le temps s’était considérablement rafraîchi et la production de tomates avait ralenti, mais le potager des particuliers s’en portait moins bien et les ventes se maintenaient en conséquence. À la fin du mois la chaleur revint, je finis par subir de plein fouet la concurrence de ces jardins familiaux, et les invendus devinrent la norme. On était bien loin de la grande ville! Je vendis aussi, en frais, plusieurs bottes d’oignons plutôt dédiés à la conservation car on m’en demandait. Je continuais à vendre quelques kilos de pommes de terre nouvelles, au compte-goutte car je voulais garder le plus gros pour la conservation et les marchés d’automne. Je commençais à écouler des potimarrons, en particulier la variété verte Green Hokkaido, laquelle n’a rien à envier à son cousin rouge en terme de goût. Plutôt timides au début, les ventes augmentèrent en septembre et furent bien aidées par une petite dégustation, sur un coin de l’étal, d’un fruit cuit et assaisonné la veille.
La copine Sabine, de la ferme de l’Héritier à Tombebœuf, me fournit quelques belles pastèques que le beau temps de la deuxième semaine de septembre rendirent désirables à souhait. Enfin, et c’était anecdotique, les poivrons qui avaient si mal commencé leur annuelle carrière donnèrent enfin quelques beaux fruits oranges, et je récoltais mes premiers piments habanero. Nous avions promis des sauces extra-fortes à nos donateurs de la campagne de financement, mais il faudrait se résoudre à commander un bon kilo de piments à Benoît, horticulteur bio du Temple-sur-Lot, lequel en cultivait. Le même Benoît qui me fournissait régulièrement du plant de laitue, dont c’était le grand retour. Je vendis bien la batavia magenta qui résistait si bien à la chaleur et que la voisine Valérie, de feu le restaurant les Ganivelles à Villebramar trouvait «merveilleuse et racée».
Les cucurbitacées sous tunnel, en fin de cycle et mangées par le mildiou, faisaient grise mine. Celles plantés dehors en juin ne valaient pas mieux. Exceptionnellement, je pulvérisais de la bouillie bordelaise sur les concombres de plein champ et du soufre sur les courgettes elles-même victimes d’oïdium, mais je savais ces plantes en sursis. Les melons charentais ne mûrissaient plus vraiment, et sans doute trop irrigués en dépit de la baisse de température, ils n’avaient parfois aucun goût. À tel point que j’en faisais cadeau au marché de Pujols, à défaut de pouvoir en garantir la qualité. Les aubergines cessèrent soudainement de produire, et se mirent à jaunir, faute d’une fertilisation suffisante: à cet endroit, je n’avais pas épandu de fumier mais des bouchons d’un engrais organique probablement désormais entièrement consommé.
J’avais négligé la surveillance des pommes de terre et les trouvais envahies de doryphores. Le 17 août, on faisait un défanage complet en coupant la partie aérienne des plantes et on collectait tous les doryphores avant qu’ils ne s’enterrent pour l’hiver. Enfin, exit aussi les haricots verts qui souffraient de la chaleur. Et puis, entre le début et la mi-septembre, on arracha donc, dans l’ordre, melons, concombres, aubergines et basilic. Les tunnels se vidaient, mais c’était pour mieux renaître! Côté melon, je confiais à Magdy et Balthazar la tâche ingrate de retourner la terre pour en sortir les rhizomes de liseron, puis il fallut reformer les buttes dévastées et farcies de mottes dures comme de la pierre à coup d’arrosage et de passage de croc. J’avais prévu de semer aussitôt le mélange d’engrais vert donné par Damien mais décidait finalement d’implanter des épinards, des carottes, des oignons blancs et des laitues pour l’hiver. Avec Magdy, on butta les poireaux et on installa un filet anti-insecte contre la mouche du poireau.
Le 6 septembre, j’arrachais à la fourche-bêche les pommes de terre restantes et portait le tout dans la chambre froide du voisin Garonnais. Là encore, désherbage du liseron, arrosage et passage de croc pour briser les mottes. On remontait des buttes de 80cm de large, au cordeau. Le même Garonnais s’était régulièrement manifesté en rapport avec une future parcelle de plein champ que j’envisageais au sud de la maison: en juillet, c’est avec sa déchaumeuse que fut détruite la luzerne qui poussait encore à cet emplacement. Le voisin Pépito vint ensuite y déposer un épandeur entier (16 tonnes) de son fumier de vache. Garonnais fit un passage d’outil à dents pour décompacter le sous-sol, puis revint équipé d’un roto-tiller pour achever d’incorporer cette matière organique et affiner le terrain. Enfin, le 14 septembre, notre protecteur revint encore avec une butteuse, et modela 15 planches supplémentaires dans le sens de la pente. Le jardin changeait de physionomie!
On fit des cueillettes: champignons sans succès, prêle des champs qu’on mit à sécher et dont les décoctions seraient pulvérisées au printemps en prévention des maladies cryptogamiques, prunes d’ente du verger aux tulipes de Villebramar, chez le voisin Yves, et aussi quelques poires. En septembre, ce fut le tour des figues. À chaque fois, Laëtitia lançait un atelier confitures. Les invendus de melons suivirent le même chemin, ainsi que les tomates roma que je ramenais du marché. Ces conserves de tomate ne seraient pas vendues faute de certification bio, mais le contrôleur passerait avant la prochaine fournée. On rachetait des bocaux. On tentait aussi la compote figue-poire. Je commençais à concevoir des étiquettes.
Et je restais un peu devant l’écran: il fallait boucler la réalisation du site internet d’un lycée parisien. Planifier les cultures d’hiver et passer commande de graines et de plants. Et régler la paperasse, pour moi comme pour Laëtitia. Même si blondinette avait cessé de démarcher davantage pour ses massages, handicapée par un dos douloureux à 3 mois de grossesse, elle avait aussi fort à faire en matière de recrutement: échanges avec les futurs WWOOFeurs et publicité autour du chantier participatif d’isolation terre-paille. Ce dernier suivait son cours, essentiellement pris en main par Alexandra, suivie par un Magdy déchaîné, et l’électricité fut finalement achevée dans la dernière ligne droite. Mi-septembre, ne restait plus qu’à isoler le mur sud. On fit deux excursions: la première à Périgueux chez un parrain qui déménageait et faisait don de meubles et d’outils. Le deuxième à Angers, pour moi tout seul, car je préférais économiser les frais de port d’une livraison de fraisiers. Le 3 septembre, jour historique: nous plantions nos premières fraises à destination commerciale, 300 plants de la variété ciflorette qui donneraient dès le printemps 2020.
Et puis, on festoya un peu. Il y a avait toujours du monde à la maison, et les grandes tablées étaient devenues monnaie courante. On sortit nos hôtes au marché des producteurs de Fongrave, sur les rives du Lot, et à la guinguette des copains de la Maison Forte, lesquels nous avaient bien manqué. Les WWOOFeurs profitèrent du lac de Tombebœuf, Magdy de l’unique vélo à sa taille. Carole et Alexandre, amis parisiens, apportèrent du bon vin pour le week-end. On organisa une deuxième séance de cinéma en plein air avec Sandie, Sabine, Gildas, Damien et leurs enfants, sous la grange où, deux mois plus tôt, avait lieu un concert de rock. Et puis, comité des fêtes oblige, on embaucha Magdy à l’organisation du vide-grenier de Villebramar, et celui-ci fut un tel succès qu’il en éclipsa même la fête du village! Dernièrement, nous filâmes à un concert (de métal) à la brasserie In Taberna de Monflaquin. On pourra aisément clore cette chronique sur la constatation que dans cette nouvelle vie, quand nous arrivons à dénicher quelques rares moments de loisir, ils sont rigoureusement bien employés.