Le miracle de la paille redevenue luzerne

Villebramar bottes paille triticale - Ferme de Videau
Bottes de paille

Une fois moissonné par l’ancien propriétaire, ce petit rectangle au milieu d’un ensemble plus vaste de 15 hectares, cultivé en triticale, devenait notre champ. Avec à la clef un bon paquet de paille, laissée sur place. À notre demande. Car cette paille, c’est l’isolation future des murs de notre maison et du gîte.

En attendant, je suis un peu désemparé devant la marche à suivre. D’abord, il faut dégoter une presse capable de nous produire des petites bottes, de celles qu’on empile pour former des cloisons isolantes. Ensuite, transporter les ballots ainsi pressés jusqu’à notre grange pour qu’ils passent l’hiver au sec. Enfin, envisager la culture suivante, par exemple un engrais vert, afin d’offrir à notre champ (et la vie qu’il héberge) un couvert digne de ce nom au lieu de l’abandonner aux “mauvaises” herbes.

Car oui, l’agriculture est une lutte de l’homme contre l’éternelle et patiente reconquête forestière engagée par la nature. Une lutte qui, même à cette échelle liliputienne du point de vue d’un céréalier d’aujourd’hui, demande quelques moyens mécaniques. Des moyens MODERNES.

Hélas, semer un champ d’un petit hectare doit paraître bien futile à nos voisins agriculteurs équipés de tracteurs climatisés équipés GPS. Au mieux, une perte de temps. Quant à trouver une botteleuse… La mode est aux balles rondes de 300kg et ces engins se font rares. Nos petites briques de paille semblent toutes avoir été reléguées dans un écomusée.

Bref, nous attendions un miracle. Sans savoir qu’il vivait dans le voisinage. Ce miracle s’appelait Pépito.

Arrivé un beau jour sur son beau cheval vert (de marque John Deere), Pépito délivre la bonne nouvelle: il possède une presse, de celles qui font des petites bottes, et c’est d’ailleurs la machine avec laquelle il a démarré dans le métier, à 14 ans. On sent bien que ça l’émeut un peu, notre sauveur, de voir les néo-ruraux redonner un peu de jeunesse aux merveilles technologiques d’antan.

Villebramar semis luzerne - Villebramar bottes paille triticale - Ferme de Videau
Semis de luzerne

Et Pépito de retourner cette paille qui avait eu le temps de prendre la flotte, de lui donner quelques jours de sec, et de venir nous pondre de jolies bottes au format presque rigoureusement exact de 100x35x60cm. Et l’homme de nous proposer aussi, englués que nous étions dans notre sous-équipement, et cependant volontaires à un point qui a dû l’attendrir, de nous prêter le tracteur et la remorque qui nous aideront à rentrer la paille dans la grange. Pépito deux fois sauveur, que son nom soit sanctifié.

Trois fois sauveur, en fait. Au détour de la conversation, Pépito m’informe qu’il produit de la semence de luzerne et que l’époque du semis approche. Ni une ni deux, il me propose d’opérer chez moi, pour que mon vœu d’un couvert végétal d’au moins deux ans devienne réalité. De cette façon, la partie du champ que je ne mettrai pas en culture légumière tout de suite (et Dieu sait qu’au moins deux années seront nécessaires avant que mon agenda essentiellement occupé par la rénovation du bâti m’autorise autre chose qu’un potager familial), ainsi semée d’une légumineuse, sera protégée de l’érosion, abritera efficacement les organismes du sol, et fixera allègrement l’azote de l’air.

Il se trouve que la luzerne (Medicago sativa) est un cas à part. Sa croissance est rapide et sa racine pivot lui permet de descendre très profondément: la structure du sol est grandement améliorée et c’est une concurrence féroce avec les “mauvaises” herbes, même pour l’increvable chardon. Il est recommandé de laisser en place au moins deux ans. Fauchée chaque année, la masse végétale de cet engrais vert se décomposera en surface. C’est encore de l’azote.

Pour finir, Pépito m’a prêté le tracteur afin de rouler la luzerne (comme avec ton rouleau en plastique rempli d’eau dans ton potager après le semis de radis, mais en beaucoup plus gros). La messe est dite, la pluie est tombée. Amen. Et s’il le faut, pour le fauchage, je demanderai à Pépito, qui est sacré. Ainsi que son cheval vert.

Retour à Toussacq

Retour à Toussacq - Ferme de Videau

À quelques jours de la signature d’un acte de propriété qui va nous permettre, à blondinette et à moi-même, de démarrer notre projet à dominante paysanne, je dois relater l’aventure que j’ai vécu à la ferme de Toussacq ces deux derniers mois. Il s’agit d’une expérience professionnelle fondamentale dans mon parcours, rétrospectivement indispensable par rapport au projet de vie qui est le nôtre, et une expérience humaine profondément émouvante et révélatrice de l’optimisme dont est capable un certain monde agricole que je voudrais rejoindre.

Toussacq en danger

Nous sommes au mois d’avril 2017. Deux ans après mon passage dans cette ferme francilienne, me voilà de retour à Toussacq.
Quelques semaines plus tôt, l’entreprise se retrouve soudain dans une situation dangereuse après le départ du patron pour cause d’arrêt maladie. On cherche donc un salarié, mais pas un simple ouvrier. Quelqu’un capable de gérer le quotidien, et même d’anticiper l’avenir. Comprendre: planifier la saison de maraîchage qui démarre. Puisque je connaissais la ferme et que j’avais quelques disponibilités, il n’y avait pas de raison que je refuse.

Chapeauté par François, un maraîcher voisin fort expérimenté qui connaît bien les lieux, et sur la base d’une méthode de planification à base de documents informatiques qui est la sienne, je débarque. Avec des bottes propres aux pieds et des mains vierges de cals. Mais lesté d’une appréhension compréhensible: car depuis deux ans que j’ai plaqué ma vie d’avant pour devenir ouvrier agricole, je n’ai jamais eu à faire face à de grandes responsabilités, et de ma vie il ne m’est jamais arrivé d’encadrer du personnel.

Heureusement, on m’a bien mâché le travail. S’appuyant au besoin sur le cahier de culture des années précédentes, plusieurs petites mains ont retranscrit le plan d’assolement du patron de manière chronologique dans les feuilles d’un fichier Excel partagé sur une Dropbox. En parallèle, des paysans volontaires ont œuvré à combler le retard pris en matière de travail du sol. Les clients de la structure, regroupés en AMAP et fidèles à la devise de solidarité inscrite dans leur contrat, viennent régulièrement prêter main forte. La femme du patron est souvent là pour les accueillir.

Le frais, c’est chaud

Restent les professionnels sur place: trois salariés, dont votre serviteur, ont fort à faire pour maintenir la structure à flot et mettre en place les cultures de printemps qui constituent le gros morceau d’une saison de maraîchage. Au programme: gestion des stocks, récoltes, travail du sol, semis et plantation, mise en place de l’irrigation. Avec l’avancée du printemps, c’est la reprise des récoltes de frais pour remplacer le contenu des frigos, qui s’épuisent. Il faut soigner les cultures qui arrivent à maturité: choux, oignons, navets et carottes primeur demandent un arrosage régulier et des récoltes maîtrisées. Et programmer d’autres oignons, d’autres choux, d’autres navets. Et des radis, et des salades. Encore des radis. Et encore des salades… Pfou.

Il faut aussi installer les cultures de légumes fruits sous tunnel: courgettes, tomates, aubergines, poivrons, concombres, haricots, etc. À l’extérieur viendront les courges, les pastèques, les melons. Ne pas oublier de prévoir à long terme: choux d’automne et d’hiver, céleris-raves, carottes, betteraves, poireaux. Les semis se succèdent, les plantations aussi. Avec la chaleur qui arrive, l’enherbement guette. Les doryphores font leur apparition dans les pommes de terre. Et les ennuis mécaniques se succèdent.

Vu la consistance de l’agenda, épais comme un catalogue de matériel agricole, la gestion des moyens humains est la clef de la réussite. Tous les jours, coordonner les tâches, sans heurt et sans reproche, en essayant d’optimiser les déplacements et en mobilisant les compétences propres à chacun. Pas une chose aisée quand on est soi-même peu expérimenté. Risqué quand on encadre un groupe de bénévoles, formidablement volontaires mais pas qualifiés. Les séquences de travail qui obéissent à l’improvisation sont rarement couronnées de succès. Il faut s’employer à anticiper, et le programme de l’équipe doit être écrit à l’avance. Une semaine à l’avance, c’est mieux.

Anges de la solidarité

Bien sûr, rien de tout cela ne serait possible sans nos anges gardiens: François veille au grain. Il supervise le travail à Toussacq et son tour de plaine du lundi fait office de filet de sécurité pour quelques unes de mes initiatives hasardeuses. Il corrige les oublis. Et prend le temps de me former à diverses techniques et outils, quitte à se mettre en retard dans le planning de sa propre saison. Les autres paysans et les amapiens, venus parfois de bien loin, libèrent notre agenda de nombreux travaux chronophages: désherbage, préparation du sol, vrais et faux-semis. Anne, du réseau des AMAP, coordonne les échanges entre tout ce beau monde. Des appels à l’aide sont relayés sur les blogs. Les autres résidents de Toussacq, ceux qui partagent la ferme avec nous, rendent régulièrement service à l’atelier mécanique et ailleurs.

On peut dire qu’en l’absence du patron, la relève est plusieurs fois assurée. Cette entreprise, c’est une hydre (ou un chardon): même décapitée, elle a plusieurs têtes qui repoussent. En tous cas, elle ne manque pas de mains. Toussacq, c’est un exemple de mobilisation humaine. Un manifeste, même. Qui ringardise davantage la vision de l’agriculteur productiviste, délocalisé, coupé des consommateurs. Car en réalité, il existe un autre monde paysan, où la vie n’est pas non plus facile tous les jours, mais où on sait s’organiser hors de systèmes pyramidaux, avec et pour ceux à qui on destine le produit de nos fermes, et où la solidarité en cas de coup dur n’est pas un vain mot.

Merci!

Je souhaite bon rétablissement à celui dont l’absence, ironie du sort, m’a donné l’occasion de fourbir mes armes. Ça m’aidera à mieux aborder une activité indéniablement usante dont il faut s’employer à maîtriser le pouvoir d’étouffement jusqu’à la noyade, et essayer d’en faire l’élément central d’un mode de vie supérieur. Bon courage à lui dans la reconquête de cette vie-là. Et merci de m’avoir montré la voie.

Merci à tous les autres, pour leur soutien, leur aide, leurs conseils de pros: Stella, Pascale, Anne (au pluriel), Marie, Noémie, Émilie, Élodie, Sylvie, Alice, Maëla, Aurélia, Lorène, François, Pierre, Denis, Michel, Florian, Laurent, Bernard, Geoffroy, Jean-Louis, Jean-Pierre, Mathieu, Boris, Marc, Damien, Benoît, Adrien… J’en oublie. Merci à tous les amapiens qui font toujours le déplacement avec bonne humeur malgré la perspective, souvent, d’un travail de forçat.

Pour eux, l’expérience de Toussacq continue. Pour moi, le retour à la campagne touche au but, plus au Sud.

L’inertie, oui merci

Croquis serre bioclimatique - Ferme de Videau
Dessin de Pierre Pernix

Le copain Jojo m’avait bien chauffé avec son projet de serre hors-gel. La ruine d’une ancienne bergerie lui donne l’occasion, dans son fief cévenol, d’aménager une baie vitrée plein Sud entre deux murs de pierre, à quelque distance d’une paroi rocheuse. Les gros blocs calcaires, léchés par le soleil d’hiver à travers la vitre, restitueraient pendant la nuit à l’air ambiant de la serre les calories emmagasinées, garantissant à ses plantes en pot une température raisonnable.

Une serre hors-gel, si t’as du pot

Voilà comment je redécouvrais le principe d’inertie thermique, en particulier la capacité de certains matériaux à stocker la chaleur et à la rediffuser progressivement, au contraire des matériaux isolants qui constituent de véritables barrières thermiques. Champions de l’inertie dans la construction, citons le béton, la pierre ou les murs en terre crue (pisé, torchis). La fonte de nos poêles, ou les briques réfractaires d’un four à pizza, ont aussi été choisis pour ça. Même l’eau, apprenais-je, est dotée d’une inertie thermique… de loin la meilleure!

On m’avait mis la puce à l’oreille. Car si la serre froide est un accessoire indispensable au jardinier pour avancer ou retarder les saisons, empêcher le mercure d’y descendre en dessous de zéro en hiver reste un luxe sous nos latitudes. Un luxe synonyme de chauffage. Ces tunnels en verre ou en polycarbonate, plus ou moins bien isolés, sont chez les producteurs à l’année de tomates ou de plantes exotiques équipés d’une chaudière. On se contente parfois seulement d’allumer de grosses bougies pour la nuit, mais le fait est là: cultiver hors saison demande du combustible.

Évidemment, quand on a pas de pétrole, on a des idées. Je ne parle pas de cultures chauffées par les eaux d’une centrale nucléaire toute proche (merde, ça existe VRAIMENT), mais de cette merveille du génie humain qu’est la serre bioclimatique. Qui non seulement utilise l’inertie thermique des matériaux pour garder la chaleur en hiver, mais aussi pour maintenir une relative fraîcheur en été, quand les serres classiques se transforment en étuves. Bien mieux: accolée à une maison, elle permettra de compléter le chauffage en hiver, et d’en assurer la climatisation en été. Voilà ce qu’est l’énergie solaire passive! Retenez bien ça.

Avec le passif, un projet d’avenir

Parmi plusieurs idées de serre bioclimatique, on retiendra celle des bidons d’eau peints en noir, lesquels restituent la nuit leurs calories aux jeunes plants dans des caisses à semis disposés par dessus. Ou du bassin ménagé dans le sol (avec des poissons, tiens, trop meugnon), maintenu à l’ombre en été, dont l’inertie supérieure impose sa fraîcheur à l’air ambiant. Autre exemple: un bon vieux mur plein en béton qui devient capteur dès lors que, placé derrière un double vitrage exposé plein Sud, il stocke la chaleur du soleil, la restitue dans l’air et renvoie celui-ci dans la maison grâce à des ouvertures hautes et basses. C’est le principe du mur Trombe.

Serre bioclimatique - Ferme de Videau
Dessin de Pierre Pernix

De ces milliers de solutions, je me suis inspiré pour, non pas bâtir ex nihilo un nouvel earthship, mais pour aménager une bâtisse qui existe déjà et qui pourrait devenir le lieu idéal de notre projet. Comme point de départ, prenons ce grand auvent en structure bois et couverture fibrociment, ouvert au Sud, et juste derrière, le mur en pierre de la maison. Après transformation en serre bioclimatique, on trouverait une isolation propre de la toiture, qu’on aurait raccourci pour augmenter l’exposition au soleil, une dalle béton et un bassin de collecte des eaux de pluie (deux supports “capteurs” supplémentaires de l’énergie solaire), enfin des ouvertures dans notre mur et une cheminée pour la thermocirculation.

Serre bioclimatique, comment ça marche?

S’il y a mille détails à régler dans un chantier, la première étape consiste sans doute à maîtriser l’aspect théorique. Voilà déjà un aperçu du fonctionnement souhaité.

Hiver

La course du soleil est plus proche de l’horizon, ses rayons entrent donc largement dans la serre. Piégée dans l’air par le double vitrage et l’isolation du toit, la chaleur s’accumule dans le sol, le mur et l’eau collectée dans le bassin, tous des éléments à forte inertie thermique. Tandis que l’air chaud se dirige vers la maison par l’ouverture haute pratiquée dans le mur, l’air plus frais entre dans la serre depuis l’ouverture basse pour être chauffé à son tour. C’est la thermocirculation.

La nuit, toutes les ouvertures sont fermées et les matériaux ayant capté la chaleur pendant la journée la restituent doucement: si la serre est bien isolée au niveau toiture et vitrage, ce phénomène lui permettra aisément de se maintenir hors-gel. La maison bénéficie également de la diffusion depuis le mur, limitant le besoin en chauffage.

Été

Les rayons du soleil dont l’incidence est plus proche de la verticale sont arrêtés par la “casquette” du toit, maintenant la serre dans l’ombre. Sol, mur et eaux du bassin sont épargnés par la lumière directe. Une fenêtre est ouverte dans la façade, ménageant un courant d’air: l’air plus chaud contenu dans la serre mais aussi dans la maison est aspiré par la cheminée du toit. Encore la thermocirculation. L’eau collectée du bassin, dont l’inertie thermique est considérable, communique sa fraîcheur à l’atmosphère intérieure.

La nuit, l’air chaud ne cesse de s’échapper par les ouvertures, et l’eau du bassin contribue toujours à rafraîchir la pièce.

Et maintenant? Yapluka. Avec un projet de serre bioclimatique comme le mien, on logerait facilement les semis pour toute une saison de maraîchage, avec un gain de chaleur et une garantie de température minimale en hiver, une fraîcheur relative en été, mais aussi un agréable chill out près des plantes et des poissons exotiques, avec la clim’ gratuite pour la baraque entière. Une publicité vivante pour l’écologie, doublé d’un vrai sujet de magazine déco. Faut bien s’embourgeoiser, un peu.

Projet agrotourisme : notre ferme idéale

En attendant de dénicher la propriété qui satisfera nos critères et notre maigre budget, blondinette et moi-même mûrissons dans nos têtes la ferme écologique idéale pour un projet agrotourisme. Dont voici un premier rendu exhaustif, histoire de transformer le rêve en réalité d’un simple claquement de doigts.

Projet agrotourisme écologique - Ferme de Videau
Dessin de Pierre Pernix

Ressemer du piment, pas si chaud que ça

Il y a deux ans on m’a donné des semences de piment habanero «Scotch Bonnet» ramenées par un ami de l’île de la Réunion. Il s’agit d’un piment très fort et à la saveur caractéristique, traditionnellement cultivé dans les Caraïbes.
Les semis de l’an dernier, en 2015, on été peu fructueux. Trois plants seulement, sur une quinzaine attendus, sont sortis de terre et ont donné des fruits, dont j’ai conservé quelques graines. Mais de cette façon, j’ai pu faire cette année l’expérience de la conservation de semences… avec succès!

Cette question de la réappropriation des semences par nous-mêmes est largement débattue ici où là. La main-mise sur cette extraordinaire matière première, sa production et sa distribution, par des entreprises spécialisées (on pense à Monsanto) au détriment des paysans est évidemment très décriée. L’association Semences Paysannes, entre autres, dénonce le danger que cette situation fait peser sur la biodiversité.

Que la production de semences vous revienne et les avantages sont nombreux. Par exemple, les semences auto-produites donneront des plantes avec davantage de «variabilité», donc adaptées aux conditions naturelles d’un terroir précis (précipitations, ensoleillement, nature du sol, voisinage et interaction avec d’autres espèces). Dans le cas de plants issus de semences hybrides, certes plus stables et homogènes, conçus pour être cultivés en toute circonstance, ce sont au contraire les pratiques culturales (irrigation, engrais, traitements…) qui devront être adaptées.

J’ai pris conscience, en réutilisant ces semences de piment habanero, de participer moi aussi à ce geste de réappropriation du vivant. J’ai eu le sentiment d’ajouter ma pierre à l’édifice. De joindre ma voix à la grande rumeur post-industrielle du monde agricole!
Toutes proportions gardées, hein. Juste une petite graine par-ci, une petite graine par-là. Onze graines en tout, pour être exact.

Les semences 2015, récupérées et conservées dans des conditions que j’ignore, n’avaient pas réussi au climat métropolitain de France et péniblement germé à une température moyenne de 20°C. Le résultat était accablant, et c’est sur le plus beau des trois seuls spécimens survivants que je prélevais les plus beaux fruits pour en retirer les semences dans lesquelles je mettais peu d’espoir. Pourtant, ce travail de sélection allait être payant: cette année, au mois d’avril, onze plantules s’élevèrent du terreau nourricier, soit un taux de germination de 100%!

Cette expérience ne fût pas réalisée selon une rigueur toute scientifique, mais il est indéniable que la conservation de mes semences de piment habanero d’une année sur l’autre a pu servir l’acclimatation de l’espèce. Si ce n’est pas une preuve de variabilité, ça, je veux bien brûler vif dans les flammes l’enfer d’une habanero hot sauce!

Autre printemps, autres mœurs

Ça y est, c’est fait. Blondinette et moi-même avons épaulé nos baluchons et tracé la route vers le soleil du midi. Voilà plus d’un mois que nous avons emménagé à Gignac, dans l’Hérault, à environ 30km au nord-ouest de Montpellier.

Il y a fort à faire dans l’appartement: faute de terrain avec arbres, il faut échafauder une pergola sur la terrasse en prévision du cagnard, construire des jardinières de récup’ en bois de palette pour y planter piments, houblon, fleurs et aromatiques, et accomplir d’autres bricolages en tout genre…

Appartement Gignac - Ferme de Videau

Et puis le travail agricole a repris. J’ai été embauché mi-mars pour une nouvelle saison de maraîchage bio à Aniane, le village d’à côté. Le chef s’appelle Florent Guret et produit une assez grande diversité de légumes sur environ deux hectares, qu’il vend au marché de Saint-Martin de Londres, mais aussi dans des paniers hebdomadaires aux habitants du coin, et parfois à des grossistes.

En Seine et Marne, mes premiers mois de travail furent rythmés par le semis des légumes d’été. Ici, dans l’Hérault, ces mêmes espèces sont déjà en terre depuis un bail: jeunes plants de courgettes, de tomates, d’aubergines et de poivrons croissent allègrement sous serre, pois et fèves sont à l’extérieur. À moins de 700km plus au sud, le décalage horaire est notable. Il fait évidemment plus chaud, pour un mois de mars: on mange souvent dehors le midi, et c’est déjà comme dans un four qu’il faut passer la houe sous la serre.

Ferme biologique Aniane - Ferme de Videau

Bref, c’est reparti. On sème une deuxième fournée de tomates pour le plein champ, des céleris et des pastèques, on repique d’autres poivrons et des piments. On récolte l’aillet, les cébettes, les salades et les blettes, et aussi beaucoup d’épinards… avant qu’ils montent à graine. On plante des haricots, des betteraves et, nouveauté, des artichauts!

Un autre climat, un autre décor, un autre patron casse-couilles pointilleux. D’autres méthodes et d’autres découvertes. Ce n’est certes pas un retour à la case départ, car je peux arguer d’un peu d’expérience, mais comme une nouvelle année scolaire. Une nouvelle aventure, quoi. Un autre printemps!

L’arbre mort de rire

L’amie Babette m’a prêté Promenons-nous dans les bois (A Walk in the Woods), de l’américain Bill Bryson. À mi-chemin entre le roman et le gonzo scientifique, ce passionnant récit à la première personne m’a enchanté. Et m’a bien fait marrer.

Homme marié, entre deux âges, l’auteur soumet à son éditeur l’idée de parcourir le célèbre Appalachian Trail (sentier des Appalaches), ancêtre des chemins de grande randonnée dans l’Est des États-Unis. Fortement documenté, notamment au sujet des ours noirs qui pullulent dans la zone et représentent un danger non-négligeable, mais pas physiquement préparé, il s’embarque avec un ami d’enfance dans une randonnée hors-norme: environ 3500km, un dénivelé cumulé délirant et des conditions climatiques dingues. L’isolement et les privations achèveront d’en faire un récit tragi-comique.

Appalaches - Dessin Pierre Pernix
Appalaches – Dessin Pierre Pernix

La fiche wikipédia de Bill Bryson nous apprend qu’il s’est spécialisé dans les récits de voyage humoristiques. L’auto-flagellation rigolarde, au nom d’une forme de renouement avec la nature et son propre corps, du narrateur et l’inconstante détermination de son compagnon alcoolique repenti suffisent à nous bidonner. Mais Promenons-nous dans les bois est aussi une occasion supplémentaire pour le bonhomme d’exceller dans la critique acerbe et réjouissante de la modernité. Tourisme et consommation de masse, interventionnisme dévastateur de l’homme dans la nature, errements dans la gestion des parcs nationaux américains passent à sa moulinette. Imaginez Michael Moore, mais en équipement de trekking.

Bill Bryson passe pour un bon vulgarisateur scientifique. Le récit de voyage s’accompagne donc d’une véritable leçon de choses, laquelle englobe une histoire cocasse mais véridique des États-Unis, mais aussi de rigoureuses (et souvent morbides) informations scientifiques et des statistiques à faire pâlir le Guinness Book. Le recensement des attaques d’ours succède aux chiffres de la marche à pied d’un américain moyen. La description de la mortelle folie qui s’empare des victimes de l’hypothermie précède l’état des lieux de la flore et de la faune du Great Smoky Mountains National Park.

Par exemple, j’ai été marqué par l’évocation du châtaigner d’Amérique (Castanea dentata), très répandu dans ces forêts avant l’arrivée des premiers colons, et qui pouvait atteindre les 30m de haut. Dans Promenons-nous dans les bois, Bill Bryson pointe la fragilité de ces mastodontes, imposants par la taille mais dont la partie vivante est en fait entièrement située dans l’aubier, ces quelques centimètres de couche superficielle du tronc.

En fait de modèle vivant pour mon dessin, ce châtaigner d’Amérique est désormais un arbre mort. Devant son tronc creux pose un hiker barbu. Au début du XXème siècle, le châtaigner a été rapidement et totalement éradiqué du continent nord-américain par un champignon, importé du Japon en même temps que des plants de pépinière.

Ruée vers la truffe

La truffe, c’est de l’or. Bien sûr, ça se cultive, mais ce n’est pas une science exacte. Depuis qu’un certain Joseph Talon a inventé la trufficulture au XIXème siècle, la France a connu plusieurs ruées vers la truffe, où l’on plantait des chênes à tour de bras, dans le Vaucluse et la Drôme, puis, plus tard, dans le Périgord, avec une réussite inégale. Aujourd’hui l’INRA propose des plants mycorhisés par l’espèce tuber melanosporum, garanti. Mais la rabasse noire a ses raisons que la recherche du rendement ignore. L’art de la truffe reste celui d’essayer d’en produire. Elle reste donc rare, et très chère.

La truffe pendant les fêtes, ça fait rêver. D’abord parce que les épiciers en profitent pour remettre cette petite chose luisante, obscure et boursouflée sur le devant de leur vitrine, enrubannée d’argent, comme la friandise ultime du réveillon idéal. Ensuite, parce que la truffe se récolte généralement en hiver, et que les balades dominicales dans une forêt de chênes, entre décembre et janvier, prennent des airs de chasse au trésor.

Truffe dessin Pierre Pernix - Ferme de Videau
Dessin de Pierre Pernix

Pour débusquer le champignon, on cave avec l’aide d’un chien ou d’un cochon bien dressé. Mon ami Jojo n’a rien d’un cochon mais, doué d’un flair supérieurement élevé, il s’est passionné pour la truffe, laquelle pousse parfois sur son domaine horticole du piémont cévenol qui est en partie une ancienne truffière. Il s’est entraîné à une autre méthode, celle des anciens, qui consiste à se munir d’une longue baguette souple… et de suivre la mouche!

Repérez le brûlé, c’est à dire cette zone généralement située au pied d’un arbre dont l’aspect désolé suggère la présence du champignon, puisque la truffe a pour particularité de tuer toute forme de végétation afin de favoriser son hôte (chêne vert, chêne blanc, parfois noisetier ou tilleul) avec lequel elle vit en symbiose. En agitant votre baguette au ras du sol, vous allez probablement faire s’envoler la mouche de la truffe, qui ne ressemble à aucune autre. Ensuite, s’armer de patience. En cette période hivernale, l’insecte pond à la verticale du champignon qui est à maturité, afin que ses larves aillent s’en nourrir. Si votre mouche est rejointe par d’autres et qu’elles convergent vers le même endroit, il n’y a plus de doute. Là, grattant quelques centimètres sous le sol, sentant la terre, vous reconnaissez enfin l’odeur musquée. Vous touchez au but!

La truffe, c’est de l’amour. Avec cette méthode douce, que vous tombiez nez à truffe avec un minuscule spécimen ou une espèce moins recherchée telle que tuber brumale, votre patience est récompensée. L’ami Jojo, après avoir mis ses pieds dans les pas de Talon, m’a ainsi peu à peu initié à l’art de la rabasse dans le fief même de la profession, sur les pentes du Mont Ventoux. Une aussi vibrante passion et un tel sens du partage, c’est beau. Ami Jojo, tu vaux de l’or.

Hybrides F1, lois de Mendel et portrait d’un botaniste

Le fascinant visage du père des lois de Mendel m’est apparu avec force à l’occasion d’un séminaire du Mouvement de l’Agriculture Biodynamique (MABD), au beau milieu de la projection d’un représentant de la firme semencière suisse Sativa, lequel abordait le sujet sensible des variétés hybrides F1 dans le maraîchage biologique.

Gregor Mendel dessin Pierre Pernix - Ferme de Videau
Dessin de Pierre Pernix

Les plantes hybrides, comment ça marche? Commençons par croiser deux variétés aux caractères distincts et à la lignée pure (par exemple, deux variétés de tomate très différentes). On obtiendra une descendance dont les individus de première génération (F1) sont tous homogènes, bénéficient d’un potentiel génétique plus grand (et donc une résistance accrue aux maladies, par exemple) et de l’effet d’hétérosis, soit une vigueur plus importante.

Hélas, l’hybridation présente des inconvénients: d’abord, les variétés hybrides ne peuvent être reproduites facilement. Contrairement au caractère homogène des individus de première génération, celui des individus de deuxième génération (F2) est variable, la résistance aux maladies et la vigueur sont perdus. Ensuite, et pour les raisons précédentes, les agriculteurs doivent chaque année racheter leurs semences.

Deux fois hélas, l’emploi de ce type de semence s’est généralisé depuis les années 50, à tel point qu’il n’existe aujourd’hui plus d’alternative acceptable aux hybrides F1 pour certains légumes. De nombreux acteurs de l’agriculture biologique appellent de leurs vœux une approche différente, et se tournent vers la culture de variétés “population” obtenues par l’antédiluvienne méthode de la sélection. Des semences qui présentent une qualité équivalente, voire supérieure, aux variétés F1.

Le portrait, enfin: à l’origine de la compréhension des mécanismes génétiques fondamentaux à l’œuvre dans l’hybridation, il y a Gregor Mendel, un moine et botaniste tchèque du XIXème siècle. Ses observations sur l’hérédité des petits pois comestibles donneront les lois du même nom… et son physique impressionnera fortement la plaque sensible de l’appareil photographique: une grosse tête compacte, une bouche fine mais volontaire au dessus d’un menton puissant, et des petits yeux étrangement doux et déterminés à la fois. Je ne pouvais m’empêcher de reproduire au crayon un tel visage, celui d’un homme utile.

La cabane à courges de Michel

Michel le maraîcher a construit une bien étrange cabane. Une nouveauté dans le paysage Seine-et-Marnais. Une nouveauté éphémère, cependant, qui se moque des permis de construire, et pour cause: à partir d’un unique conteneur maritime, une grande boîte en ferraille de 20 pieds dénichée sur Le Bon coin et posée dans un recoin de la ferme, le bonhomme a réalisé une chambre de stockage pour légumes. En l’occurrence, des courges.

Conservation courges conteneur paille - Ferme de Videau

La récolte annuelle de ces cucurbitacées est conséquente et se vend au compte-goutte: courge spaghetti, musquée de Provence, sucrine du Berry, butternut, pleine de Naples, longue de Nice, patidou, potimarron… doivent pouvoir se conserver jusqu’au printemps.

Première difficulté: les courges, légumes joufflus, sont aussi de délicats petits êtres qui craignent les chocs. Pas question, donc, de les empiler façon patates dans un palox de 600kg. Chez Michel, le stockage des courges se fait sur des étagères, en rang d’oignons, pour réduire au minimum la pression sur leur enveloppe. On essaie de les espacer: si l’une d’elle venait à pourrir, la transmission de ses miasmes en serait limitée.

Surtout, en plus de réclamer de la place, les courges ont besoin de chaleur et d’une bonne aération. Quand la conservation des légumes se fait souvent dans un froid relativement humide, on préférera ici un climat chaud et sec.

L’idée de Michel est diablement simple, et je ne pouvais pas manquer d’en réaliser un écorché. L’isolation du conteneur est assurée par une paroi de ballots de paille, à son tour recouverte d’une bâche plastique pour l’étanchéité.
L’air est renouvelé depuis le sas d’entrée par un extracteur d’air (VMC, pour Ventilation Électrique Contrôlée) et la pièce de stockage, avec ses rayonnages pour recevoir la récolte, est chauffée par convecteur électrique.

Je l’ai dit plus haut: une telle installation ne nécessite aucun permis de construire, puisque l’ensemble peut être démonté en un tour de main (ou presque). Mais qui s’en soucie? La cabane de Michel a encore de beaux courants d’air devant elle.