Bientôt quatre mois depuis notre arrivée dans le Lot et Garonne, et j’ai déjà un surnom. Qui n’en a pas? Dans le coin, personne. Blondinette a aussi le sien, les deux fonctionnent en binôme. C’est un surnom provençal, en plus, même si c’est tout à fait par hasard. L’autre jour, une coupinette a enfin lâché le morceau, et comme elle, je vais tacher de ménager un peu de suspense.
À l’origine de ce surnom, il y a une particularité que son auteur ignore sans doute. Une particularité géologique, exploitée depuis des siècles. Pour commencer, apprenez que le site Info Terre, incontournable base de donnée cartographique concernant le sous-sol, nous dit du terrain qui entoure la ferme qu’il est constitué de «Molasses de l’Agenais, partie supérieure». Ce qui est parfait. Et aussi de «Molasses argilo-gréseuses carbonatées». Voilà, voilà.
La géologie, tellement sibylline. Heureusement, je connaissais l’existence de ces molasses sous un terme plus simple dans la bouche du voisin Yves. C’est par le mot «tuf» qu’on désigne ici la partie plus dure du sol, au delà de la «terre» proprement dite. L’horizon dont on extrait la pierre grisâtre, hésitant entre le bleu et le vert, des façades de beaucoup des maisons du pays (c’était avant la brique et le parpaing), et à partir duquel on peut espérer trouver l’eau souterraine.
Nous voilà rendus au puits. Critère essentiel dans la sélection des annonces immobilières de notre future ferme. Dans le Lot et Garonne vallonné, un puits offre l’eau des collines pour le jardin. Car je me voyais mal faire tourner le compteur d’eau potable pour un demi hectare de maraîchage. Et puis une ferme digne de ce nom dispose forcément de son puits, n’est-ce pas? Mais alors, supprimez l’eau et adieu veaux, cochons, poulets. Et adieu tomates.
Quelle ne fût pas notre déception, du coup, de découvrir que notre joli puits rond percé dans le sol jusqu’au tuf souterrain, avec une margelle elle-même constituée de gros blocs taillés dans le tuf, patiemment dégagé d’un inextricable fouillis de végétation, à savoir un gros figuier envahi de diverses plantes grimpantes et débarrassé d’un lourd couvercle rouillé et tranchant au péril de nos vies, à l’aplomb de plus de six mètres de vide, ne contenait finalement… que quelques dizaines de centimètres d’eau.
C’est déjà effroyable, et ce n’est pas tout. Laissé à l’abandon depuis l’ère moderne et l’adduction en eau de ville, voilà que les racines du figuier ont fait leur chemin dans la maçonnerie, et des pierres se sont détachées de la gaine. Au fond du puits dans le tuf, une cavité sans doute immémoriale, dont l’imaginaire local suggère qu’on peut «y faire circuler un char à bœuf» pour en exprimer les extraordinaires dimensions, ne me dit rien qui vaille. Il faudrait réparer mais le conseil des puisatiers que j’ai consulté à propos de ce branlant ouvrage est unanime: dangereux. Évidemment, on pourrait buser. Mais ça promet de coûter cher.
Réflexion faite, le bilan ne s’est pas avéré négatif. Il existe une source au milieu du pré. Seulement un petit pipi à la fin de l’été, mais qui ne tarit jamais. Ça coûtera nécessairement plus cher de faire creuser une belle retenue d’eau (pratique répandue ici chez les agriculteurs, avec dans leur sol une forte proportion d’argile qui rend facultatif l’emploi d’une bâche imperméable) et d’y faire converger eaux de toiture et de ruissellement, mais le volume en sera plus avantageux. S’il fournissait encore de l’eau, le débit du vieux puits eut été probablement insuffisant pour les besoins d’un jardin maraîcher.
Enfin voilà. L’eau des collines n’était pas tout à fait là où on l’attendait. Ce puits tari, cette source retrouvée, c’est une quête de l’eau à la Pagnol. En référence à cette mésaventure, racontée à la plupart de nos visiteurs, il nous a été donné ce surnom qui sonne comme le signal de notre complète intégration. À défaut de nos prénoms, nous nous ferons appeler Jean de Florette et Manon des sources.
Le texte est clair et convaincant. Cela augmente l’espoir de vous voir vivre de votre production de légumes et fruits. Laisse tomber les oeillets (faut pas pousser la similitude avec Pagnol trop loin), mais
ma mère faisait avec sa raie de fleurs de beaux bouquets qui se vendaient bien…
A Noël pour connaître la suite.