Une fois moissonné par l’ancien propriétaire, ce petit rectangle au milieu d’un ensemble plus vaste de 15 hectares, cultivé en triticale, devenait notre champ. Avec à la clef un bon paquet de paille, laissée sur place. À notre demande. Car cette paille, c’est l’isolation future des murs de notre maison et du gîte.
En attendant, je suis un peu désemparé devant la marche à suivre. D’abord, il faut dégoter une presse capable de nous produire des petites bottes, de celles qu’on empile pour former des cloisons isolantes. Ensuite, transporter les ballots ainsi pressés jusqu’à notre grange pour qu’ils passent l’hiver au sec. Enfin, envisager la culture suivante, par exemple un engrais vert, afin d’offrir à notre champ (et la vie qu’il héberge) un couvert digne de ce nom au lieu de l’abandonner aux « mauvaises » herbes.
Car oui, l’agriculture est une lutte de l’homme contre l’éternelle et patiente reconquête forestière engagée par la nature. Une lutte qui, même à cette échelle liliputienne du point de vue d’un céréalier d’aujourd’hui, demande quelques moyens mécaniques. Des moyens MODERNES.
Hélas, semer un champ d’un petit hectare doit paraître bien futile à nos voisins agriculteurs équipés de tracteurs climatisés équipés GPS. Au mieux, une perte de temps. Quant à trouver une botteleuse… La mode est aux balles rondes de 300kg et ces engins se font rares. Nos petites briques de paille semblent toutes avoir été reléguées dans un écomusée.
Bref, nous attendions un miracle. Sans savoir qu’il vivait dans le voisinage. Ce miracle s’appelait Pépito.
Arrivé un beau jour sur son beau cheval vert (de marque John Deere), Pépito délivre la bonne nouvelle: il possède une presse, de celles qui font des petites bottes, et c’est d’ailleurs la machine avec laquelle il a démarré dans le métier, à 14 ans. On sent bien que ça l’émeut un peu, notre sauveur, de voir les néo-ruraux redonner un peu de jeunesse aux merveilles technologiques d’antan.
Et Pépito de retourner cette paille qui avait eu le temps de prendre la flotte, de lui donner quelques jours de sec, et de venir nous pondre de jolies bottes au format presque rigoureusement exact de 100x35x60cm. Et l’homme de nous proposer aussi, englués que nous étions dans notre sous-équipement, et cependant volontaires à un point qui a dû l’attendrir, de nous prêter le tracteur et la remorque qui nous aideront à rentrer la paille dans la grange. Pépito deux fois sauveur, que son nom soit sanctifié.
Trois fois sauveur, en fait. Au détour de la conversation, Pépito m’informe qu’il produit de la semence de luzerne et que l’époque du semis approche. Ni une ni deux, il me propose d’opérer chez moi, pour que mon vœu d’un couvert végétal d’au moins deux ans devienne réalité. De cette façon, la partie du champ que je ne mettrai pas en culture légumière tout de suite (et Dieu sait qu’au moins deux années seront nécessaires avant que mon agenda essentiellement occupé par la rénovation du bâti m’autorise autre chose qu’un potager familial), ainsi semée d’une légumineuse, sera protégée de l’érosion, abritera efficacement les organismes du sol, et fixera allègrement l’azote de l’air.
Il se trouve que la luzerne (Medicago sativa) est un cas à part. Sa croissance est rapide et sa racine pivot lui permet de descendre très profondément: la structure du sol est grandement améliorée et c’est une concurrence féroce avec les « mauvaises » herbes, même pour l’increvable chardon. Il est recommandé de laisser en place au moins deux ans. Fauchée chaque année, la masse végétale de cet engrais vert se décomposera en surface. C’est encore de l’azote.
Pour finir, Pépito m’a prêté le tracteur afin de rouler la luzerne (comme avec ton rouleau en plastique rempli d’eau dans ton potager après le semis de radis, mais en beaucoup plus gros). La messe est dite, la pluie est tombée. Amen. Et s’il le faut, pour le fauchage, je demanderai à Pépito, qui est sacré. Ainsi que son cheval vert.