Le copain Jojo m’avait bien chauffé avec son projet de serre hors-gel. La ruine d’une ancienne bergerie lui donne l’occasion, dans son fief cévenol, d’aménager une baie vitrée plein Sud entre deux murs de pierre, à quelque distance d’une paroi rocheuse. Les gros blocs calcaires, léchés par le soleil d’hiver à travers la vitre, restitueraient pendant la nuit à l’air ambiant de la serre les calories emmagasinées, garantissant à ses plantes en pot une température raisonnable.
Une serre hors-gel, si t’as du pot
Voilà comment je redécouvrais le principe d’inertie thermique, en particulier la capacité de certains matériaux à stocker la chaleur et à la rediffuser progressivement, au contraire des matériaux isolants qui constituent de véritables barrières thermiques. Champions de l’inertie dans la construction, citons le béton, la pierre ou les murs en terre crue (pisé, torchis). La fonte de nos poêles, ou les briques réfractaires d’un four à pizza, ont aussi été choisis pour ça. Même l’eau, apprenais-je, est dotée d’une inertie thermique… de loin la meilleure!
On m’avait mis la puce à l’oreille. Car si la serre froide est un accessoire indispensable au jardinier pour avancer ou retarder les saisons, empêcher le mercure d’y descendre en dessous de zéro en hiver reste un luxe sous nos latitudes. Un luxe synonyme de chauffage. Ces tunnels en verre ou en polycarbonate, plus ou moins bien isolés, sont chez les producteurs à l’année de tomates ou de plantes exotiques équipés d’une chaudière. On se contente parfois seulement d’allumer de grosses bougies pour la nuit, mais le fait est là: cultiver hors saison demande du combustible.
Évidemment, quand on a pas de pétrole, on a des idées. Je ne parle pas de cultures chauffées par les eaux d’une centrale nucléaire toute proche (merde, ça existe VRAIMENT), mais de cette merveille du génie humain qu’est la serre bioclimatique. Qui non seulement utilise l’inertie thermique des matériaux pour garder la chaleur en hiver, mais aussi pour maintenir une relative fraîcheur en été, quand les serres classiques se transforment en étuves. Bien mieux: accolée à une maison, elle permettra de compléter le chauffage en hiver, et d’en assurer la climatisation en été. Voilà ce qu’est l’énergie solaire passive! Retenez bien ça.
Avec le passif, un projet d’avenir
Parmi plusieurs idées de serre bioclimatique, on retiendra celle des bidons d’eau peints en noir, lesquels restituent la nuit leurs calories aux jeunes plants dans des caisses à semis disposés par dessus. Ou du bassin ménagé dans le sol (avec des poissons, tiens, trop meugnon), maintenu à l’ombre en été, dont l’inertie supérieure impose sa fraîcheur à l’air ambiant. Autre exemple: un bon vieux mur plein en béton qui devient capteur dès lors que, placé derrière un double vitrage exposé plein Sud, il stocke la chaleur du soleil, la restitue dans l’air et renvoie celui-ci dans la maison grâce à des ouvertures hautes et basses. C’est le principe du mur Trombe.
De ces milliers de solutions, je me suis inspiré pour, non pas bâtir ex nihilo un nouvel earthship, mais pour aménager une bâtisse qui existe déjà et qui pourrait devenir le lieu idéal de notre projet. Comme point de départ, prenons ce grand auvent en structure bois et couverture fibrociment, ouvert au Sud, et juste derrière, le mur en pierre de la maison. Après transformation en serre bioclimatique, on trouverait une isolation propre de la toiture, qu’on aurait raccourci pour augmenter l’exposition au soleil, une dalle béton et un bassin de collecte des eaux de pluie (deux supports « capteurs » supplémentaires de l’énergie solaire), enfin des ouvertures dans notre mur et une cheminée pour la thermocirculation.
Serre bioclimatique, comment ça marche?
S’il y a mille détails à régler dans un chantier, la première étape consiste sans doute à maîtriser l’aspect théorique. Voilà déjà un aperçu du fonctionnement souhaité.
Hiver
La course du soleil est plus proche de l’horizon, ses rayons entrent donc largement dans la serre. Piégée dans l’air par le double vitrage et l’isolation du toit, la chaleur s’accumule dans le sol, le mur et l’eau collectée dans le bassin, tous des éléments à forte inertie thermique. Tandis que l’air chaud se dirige vers la maison par l’ouverture haute pratiquée dans le mur, l’air plus frais entre dans la serre depuis l’ouverture basse pour être chauffé à son tour. C’est la thermocirculation.
La nuit, toutes les ouvertures sont fermées et les matériaux ayant capté la chaleur pendant la journée la restituent doucement: si la serre est bien isolée au niveau toiture et vitrage, ce phénomène lui permettra aisément de se maintenir hors-gel. La maison bénéficie également de la diffusion depuis le mur, limitant le besoin en chauffage.
Été
Les rayons du soleil dont l’incidence est plus proche de la verticale sont arrêtés par la « casquette » du toit, maintenant la serre dans l’ombre. Sol, mur et eaux du bassin sont épargnés par la lumière directe. Une fenêtre est ouverte dans la façade, ménageant un courant d’air: l’air plus chaud contenu dans la serre mais aussi dans la maison est aspiré par la cheminée du toit. Encore la thermocirculation. L’eau collectée du bassin, dont l’inertie thermique est considérable, communique sa fraîcheur à l’atmosphère intérieure.
La nuit, l’air chaud ne cesse de s’échapper par les ouvertures, et l’eau du bassin contribue toujours à rafraîchir la pièce.
Et maintenant? Yapluka. Avec un projet de serre bioclimatique comme le mien, on logerait facilement les semis pour toute une saison de maraîchage, avec un gain de chaleur et une garantie de température minimale en hiver, une fraîcheur relative en été, mais aussi un agréable chill out près des plantes et des poissons exotiques, avec la clim’ gratuite pour la baraque entière. Une publicité vivante pour l’écologie, doublé d’un vrai sujet de magazine déco. Faut bien s’embourgeoiser, un peu.
Bonjour;
Une question: combien de jours, de mois, de gel d’affilé avez-vous chez vous? Car l’eau de ce bassin, situé au sol, elle ne gèle pas?
Mon projet de serre est au Québec,( gel de décembre à mi avril) d’où ma question de la disponibilité d’eau, par exemple pour partir des semis au début d’avril.
Cordialement
Danielle Broué
Bonjour,
Comme dit dans l’article, si la serre est bien isolée au niveau toiture et vitrage elle doit rester hors gel. Mais c’est un principe théorique, et qui dépend de l’ensoleillement en hiver et de la température extérieure. Ici dans le Sud-Ouest de la France, on n’a pas des hivers très rigoureux. Et comme ma serre est encore à l’état de projet, je ne peux pas vous faire de retour d’expérience.