Du 1er novembre au 31 décembre 2020
La France est repartie pour un tour dans le confinement. Comme la fois précédente, on ne sait pas trop à quelle sauce on va être mangés, mais les marchés alimentaires sont maintenus et cela contribue définitivement à faire de nous, les bouseux, de nouveaux privilégiés. Franchement, que nos vacances annuelles en famille soient annulées est la seule chose qui nous inquiète. On voudrait bien s’échapper un peu du quotidien: les dernières récoltes dans le froid, la planification de la saison prochaine, le chantier à l’étage… ça devient vital. Et puis, la petite Anaïs n’a pas beaucoup côtoyé ses aïeux. Du coup, on prie pour que les autoroutes restent ouvertes et on s’emploie à boucler le programme… et quel programme!
Ça va barder avec Papy
Damien, le dernier WWOOFeur de l’année, est reparti. En renfort, il y a toujours les parents de Laëtitia. François installe un bardage sur le mur ouest des toilettes sèches du jardin, dont l’enduit à la chaux d’origine a été grignoté par les intempéries. Avec Laëtitia, il prolonge une contre-cloison en plaques de plâtre à l’étage. Se charge des voyages au magasin de matériaux. Aménage un regard d’irrigation avec des bambous. Marie-Madeleine s’occupe de sa petite fille, qui a appris à danser au son de la boîte à musique. Anaïs pleure souvent et dort beaucoup. Elle grandit, et sans doute que les premières dents arrivent. La veille du départ de Papy et Manoue, le 4 novembre, on décrète une raclette-party en famille avec le fromage des copains de Lou Cornal.
Au jardin, la saison n’est pas finie, loin s’en faut. Il faut planter en urgence les dernières mottes d’épinards qui attendent depuis trop longtemps. Je fais presque aussitôt une pulvérisation d’un mélange lithotamme/cuivre/soufre car les feuilles présentent des traces d’oïdium. Je plante 600 laitues d’abri sur un tapis de compost de déchets verts. Je passe le rotavator dans les tunnels, ou la campagnole en plein champ, en prévision d’un semis d’engrais vert sur les planches inoccupées. Le sol ne ressuie pas assez vite maintenant qu’il fait froid, et c’est encore un peu humide. Mais si j’attends encore il fera encore plus froid, trop tard pour semer. Je récolte aussi les premiers radis, les premiers navets, des salades frisées, des blettes, de beaux bouquets de persil. Hélas, les deux premiers marchés post-reconfinement à Pujols sont presque déserts, et ça caille!
Des stagiaires qui ont la patate
Le 9 novembre, c’est le retour d’Aurore, ma stagiaire de BPREA, accompagnée de son mari cuisinier qui tourne en rond à la maison. Des bras en plus, c’est pas du luxe. Je leur confie l’arrachage des poivrons et des aubergines, l’installation de petits tunnels nantais, le maniement de la campagnole et de la grelinette dans les tunnels (d’autres planches à préparer en vue du semis d’engrais vert et de carottes). Ils trient les pommes de terre et les graines de fleurs, épandent du compost de déchets vert, vérifient la tension des cordages des serres, font un grand rangement dans le matériel éparpillé sur la ferme. Une semaine au vert comme les autres, quoi. Le jeudi, je peux m’absenter en toute confiance pour une réunion de notre petit groupe de maraîchers: on organise notre première commande groupée de semences, et ça promet d’être un vrai casse-tête.
Laëtitia se déplace pour un double massage bien-être. Les jours où Anaïs est à la crèche, elle avance sur la paperasse. Il y en a toujours: nos déclarations trimestrielles de chiffre d’affaire ; des questions d’assurance à régler ; le remplacement de la machine à laver qui a succombé à un orage ; la recherche de fenêtres de récup’ auprès des menuisiers… De mon côté, je renvoie au charpentier un plan d’élévation plus détaillé du projet de serre bioclimatique. Je mets en page un flyer de soutien aux collègues producteurs et commerçants «non-essentiels» que le confinement a privé de marché. Je complète un formulaire de cessation d’activité. Désormais, je ne suis plus graphiste, mais seulement agriculteur. Tiens, au fait, le téléphone sonne: c’est un éleveur du voisinage qui demande son chemin pour la livraison de 12 tonnes de fumier de vache.
Le réchauffement, c’est maintenant
L’après-midi du 18 novembre, le soleil brille et le thermomètre indique 20°C. Anaïs est promenée par sa mère, en compagnie de la voisine et son fils, qui a le même âge. Voilà les enfants du réchauffement climatique. Et pendant que Laëtitia se rend chez la coiffeuse, en toute illégalité, au marché on distribue mes flyers qui vantent les mérites du «click & collect». Dans cette ambiance bizarre, tout le monde navigue à vue. Mais les échos du confinement en ville nous font savourer notre nouvelle vie, malgré ses déboires. On ne va pas s’arrêter de faire des projet pour le lendemain. On exhume d’ailleurs les plans du futur aménagement de la grange, pour y concrétiser de nouvelles idées: une rampe en bois pour accéder à la mezzanine, un espace bureau, un cellier isolé pour stocker les légumes, sur terre battue afin de conserver l’inertie, etc.
Le lendemain, avec Laëtitia, on sème l’engrais vert, un mélange vesce-seigle-féverole qui couvrira le sol tout l’hiver avec plusieurs objectifs: protéger la vie du sol, limiter le lessivage par les intempéries, améliorer la structure avec le développement racinaire, augmenter le taux de matière organique… On sème aussi les fèves et les petits pois dans les tunnels, à la main, qu’on recouvre d’une belle couche de compost de déchets verts. Les premières gelées sont enfin là. Les jours de récolte, 3 fois par semaine, je ne mets pas le nez dehors avant 9h à cause du froid. Il faut aussi préparer les planches qui recevront les dernières plantations de salades, et l’ultime semis de carottes. Je passe le croc, je charrie du compost, j’épands de l’engrais… On pensait profiter de la fin de saison pour avancer sur nos travaux, mais le jardin ne me laisse pas encore beaucoup de repos!
Labour, gloire et beauté
Le 26 novembre, Anaïs a 9 mois. L’un dans l’autre, sa chambre et la nouvelle salle de bain prennent doucement forme à l’étage. Un autre chantier se profile: il s’agit de poser de la volige pour retenir les plaques d’isolant du futur gîte, vieilles de deux ans, qui n’en finissent pas de se casser la gueule. On n’a pas le temps, un charpentier est appelé pour estimer le coût du chantier. Il faut dégager cet espace, passablement encombré. Puis le voisin Garonnais, sur son tracteur Fiat, vient décompacter deux parcelles en friche où je planterai des patates douces et des courges. Le lendemain, je me rends à une formation sur les mycorhizes: ces associations bénéfiques entre un champignon et de nombreuses plantes, dont bien sûr nos espèces cultivées, tissent un réseau tentaculaire mais fragile, que le moindre labour anéantit. Morale de la journée: protégeons-les!
Yves, notre papy national, a perdu la chienne dont lui avait fait cadeau son aide à domicile. Elle s’est probablement enfuie à la poursuite d’épagneuls de chasse. Pour notre voisin c’est un deuxième coup dur. La solitude lui pèse depuis la mort de son vieil Oscar. Avec notre arrivée à la ferme de Videau, il y a maintenant de la présence dans le voisinage, qui rassure Yves et ramène un peu de la vie d’autrefois. Mais il faut avouer qu’en cette tumultueuse année 2020, nous n’avons pas très souvent cogné à sa porte. Le 30 novembre, équipé de ma seule pelle, je passe la journée à prolonger une quinzaine de buttes, créées l’an passé mais limitées à 20 m. Le soir, on fête les 35 ans de Laëtitia. À table, il y a du foie gras et un Thézac-Perricard blanc doux (domaine de Lancement), ramenés du marché. J’ai fait un gâteau aux kiwis.
En décembre, on déménage
Décembre, c’est la dernière ligne droite avant la pause. Laëtitia fréquente les magasins de matériaux et les menuisiers, chez qui on peut récupérer gratuitement des ouvrants de fenêtre en bois d’occasion. On consolide un peu l’isolation dans le futur gîte et on tire une gaine électrique en attente, avant l’intervention du charpentier pour la pose de volige. L’étage de la maison est sans dessus-dessous: il faut déménager les couchages avant de monter de nouvelles cloisons. Un vœu pieux: on doit boucler les travaux de la salle de bain avant Noël. Tu parles. Ça avance, mais je n’ai pas encore fini au jardin. Le 3 décembre, je dois à nouveau planter 600 salades, puis semer les dernières carottes. Les récoltes mobilisent toujours trois demi-journées par semaine (les épinards, c’est long!). Je décide d’arrêter le marché bio de Villeneuve-sur-Lot et les paniers à la ferme à partir de la mi-décembre.
Laëtitia bosse sa com’: nouveaux tarifs, nouveaux flyers… nouveau client hebdomadaire, pour un massage tous les mercredis. Quelques bons cadeaux. Elle se perfectionne en matière de yaourts maison. Sans machine, dans une cocotte-minute entourée de couvertures. Une fois par semaine, on rentre du bois pour le poêle, qu’on ne laisse guère s’éteindre que la nuit. C’est donc au chaud que je potasse ma planification de cultures pour la saison prochaine en prévision de la commande groupée de semences entre collègues. Le dimanche 13 décembre, c’est marché de Noël à Pujols. J’ai préparé des croquants aux amandes, et déballé des pots de confitures, des bocaux de tomates et de piments, en plus de l’ordinaire. Il y a un peu de monde mais les étals de frais ne font pas de bonnes boutiques de Noël. Je poireaute la journée entière en plein courant d’air pour un résultat minable.
Le père Noël est aussi passé à la crèche. Anaïs était terrorisée. Le 20 décembre, les parents de Laëtitia débarquent pour les fêtes. On met les bouchées doubles à l’étage: 4 cm de laine de bois (pour l’isolation phonique) entre deux plaques de plâtre font office de cloison, on commence les enduits. Mais il faut penser au gueuleton! Quelques courses, et en cuisine: crustacés, anchoïade, lièvre en civet, bûche maison tout praliné. Le jour J, une visite chez notre voisin pour l’apéro se transforme en invitation à dîner. Yves passe donc le réveillon chez nous, plutôt que seul chez lui, et la conversation roule sur le passé qui ne reviendra plus. Quelques jours plus tard, mes beaux-parents ont filé. J’ai fait un peu de désherbage, achevé la commande groupée de semences. Laëtitia a bouclé les valises, et les affaires d’Anaïs occupent les deux tiers du coffre de la voiture. Le couvre-feu est toujours de rigueur, mais les routes sont libres.
Milledieu! C’est les vacances.
La salle deub, elle fait rêver.