Du 27 juillet au 31 octobre
Cette deuxième saison à la ferme de Videau n’a pas été plus intense que la précédente. Compte tenu du gain de surface cultivée, d’ambitions commerciales encore plus affichées et surtout, de la gestion d’un bébé de quelques mois parfois fâché avec le marchand de sable, elle a été DEUX FOIS plus intense! Les WWOOFeurs qui se sont succédé n’ont pas démérité, les efforts ont été récompensés par une clientèle désormais fidèle, les chantiers ont, tant bien que mal, progressé. Il n’y a qu’ici qu’on n’écrivait plus. Voilà donc la session de rattrapage. Un résumé bien garni, un concentré de sueur. Une saison d’enfer. Laquelle, avec le reconfinement, sonne finalement comme un doux souvenir de liberté.
Puces, moustiques et tripates
La dernière semaine de juillet marque l’acclimatation des «tripates», trois jeunes scoutes reconverties en WWOOFeuses pour cause de fermeture des frontières, et d’Annabelle, une amie rencontrée au Vietnam deux ans plus tôt. Première mission, type ménagère de 50 ans: un nettoyage à la vapeur du linge, tapis et coussins suspectés de contenir des puces. Les chats sont définitivement bannis de la maison. Mais les piqûres de notre petite Anaïs (5 mois) sont tout compte fait celles de moustiques. Comme il fait beau, on sort rapidement prendre l’air. Il faut arracher les fraises car je veux en replanter pour le printemps prochain dans de meilleurs conditions que l’année précédente. Ensuite on plante une série d’environ 400 choux (blancs, rouges et verts), jusqu’à la tombée de la nuit. Un vrai baptême du feu!
Machine jetable, couches lavables
Bien sûr, les récoltes se succèdent au rythme de trois fois par semaine, comme d’habitude, avec un planning chargé. Gabrielle, Solenn, Victoire (les «tripates») courbent l’échine dans les haricots verts. Annabelle passe des heures à composer des bouquets d’aromatiques. C’est le métier qui rentre. Mais le premier week-end, c’est déjà détente. Le temps de couvrir les choux d’un filet anti-insectes (du genre altises, aleurodes et autres chenilles) et je rejoins la bande à la fête de Cabicoulx, une ferme voisine qui produit des glaces au lait de chèvre. Seul bémol de la semaine, un violent orage met hors service le lave-linge et l’inter diff’ de la salle de bains. On attend l’électricien avec fébrilité. Ouf de soulagement, notre voisin Yves accepte de nous prêter sa machine, et les couches lavables d’Anaïs échappent à un sombre destin.
Chefs à domicile
Le lundi 1er août, c’est l’arrivé de Clément, le beau-cousin de Laëtitia, celui par lequel tout (ou presque) a commencé. Ancien maraîcher bio, Clément m’avait embauché en 2015 comme ouvrier agricole: l’exact point de départ de ma reconversion. Aujourd’hui, Clément n’est plus mon chef mais me remplace avantageusement au jardin. J’ai d’autres soucis, car le marché gourmand de Villebramar a lieu la semaine prochaine et il nous faut un menu végétalien. Mon cousin Charles fait une visite à l’improviste qui tient du miracle. En sa qualité de chef, il m’initie aux gnocchis de pommes de terre, dans les règles. Pendant ce temps, Clément dirige les filles: il faut butter les poireaux, les couvrir d’un filet anti-insectes. Puis arracher les courgettes et concombres malades, épandre du compost et passer la campagnole. La famille, c’est sacrément pratique.
Le grand manège des WWOOFeurs
Clément achève la cabane à moutons que j’avais laissé en plan, même si je doute que des ovins rejoindront la ferme cette année. On n’a ni enclos, ni poste électrique, et pas le cœur ni le temps de s’occuper de tout ça. On éclaircit les carottes et les betteraves. On récolte, on lave, on pèse et on charge les légumes. À tour de rôle, les filles se succèdent au marché et jouent les baby-sitters. Elles sont trop chou, ces tripates. Quand vient le moment de se quitter, on a l’impression d’avoir traversé une saison complète avec elles… en seulement deux semaines. Mille trips avec les tripates! Las, la roue tourne. Et de nouveaux invités de marque poussent les précédents. Les scoutes s’envolent, Annabelle reste encore un peu. Puis débarquent d’autres ex-WWOOFeurs du cœur: Christelle et Vincent (avec un épatant projet près de Nancy), l’indéfectible Alex de Périgueux, les néo-Dordognais Flo et Ophélia.
Cauchemar en cuisine
Les deux derniers ont été appelés en renfort en vue du marché gourmand. On a fait des essais plutôt concluants de terrine de carotte végétalienne et de gnocchis au basilic. Il faut récolter en conséquence. Louer une remorque frigo. Le mardi, on squatte la cuisine municipale et son piano de cuisson jusqu’à minuit. Le lendemain, le 12 août, est une journée marathon: marché de Villeneuve-sur-Lot le matin, transfert et installation de l’étal du marché gourmand l’après-midi. À 16h, gros coup de mou. Anaïs est difficile, Laëtitia est crevée, et moi aussi. Trop de tension accumulée, les nerfs craquent. La déprime guette. Éclate la scène de ménage dans la cuisine. Je ne pense plus qu’à laisser tomber, quand mon cousin Charles débarque à nouveau comme le cavalier blanc et prend la direction des opérations: découpe des tomates et du basilic, mise en place, distribution des rôles. Le moral repart, juste à temps pour le lever de rideau…
De l’eau dans le gaz
Ce premier marché gourmand de Villebramar, maintenu malgré le COVID-19, a tout pour réussir. Les exposants sont au rendez-vous et les premiers clients aussi. Je suis rincé, fébrile. Je comprends tout juste que cette opération, fût-elle rentable, est la mission de trop en ce pic de saison de maraîchage. Heureusement que j’ai mon cousin Charles, et les inoxydables Flo et Ophélia. Ils sont fringants, dans les starting-blocks. Tout est en place. Lorsque éclate l’orage. Un orage dantesque avec des trombes d’eau comme on avait pas vu depuis des lustres. Grêle, vent puissant. La vague déferle sur nous à l’horizontale. Le parasol devenu inutile, le gaz refuse de brûler, les gamelles prennent l’eau, la nappe est emportée… Après le gros de la tempête, la pugnacité de Charles produira une vingtaine d’assiettes de gnocchis poêlés. Trempés de la tête aux pieds, on se réchauffe, solidarité entre exposants oblige, avec le vin de Buzet d’un voisin que le déluge a privé de clients. Et on n’oubliera pas de sitôt ce coup du destin.
Objectif thunes
Il faut voir le bon côté des choses: la pluie est enfin tombée, après six semaines sans la moindre goutte, et le lac est un peu renfloué. Nous avons aussi un nouveau WWOOFeur, Étienne, envoyé par un copain maraîcher. C’est à nouveau la fête: Élodie et Sylvain, de très anciens copains qui habitent Marseille, vont passer une semaine à la ferme. Ils débarquent avec leurs deux enfants au milieu d’un banquet à Tombebœuf pour les 40 ans d’un voisin. Le lendemain, on lève une coupe à l’objectif des 500€ de chiffre d’affaire sur le marché, dépassé à Pujols. Cette thune fait oublier le fiasco des gnocchis! Puis le quotidien reprend, avec plein de nouvelles bonnes volontés: plantation des fraisiers, de blettes et de chicorées, pose de filets anti-insectes, récoltes, passage de campagnole. L’oïdium pullule, mais le pulvérisateur est en panne. Le mercredi suivant, tout le monde au marché. Sauf Laëtitia qui a réservé son après-midi (et celui du lendemain) pour une série de massages à domicile.
Seul avec les haricots verts
Le dimanche 23 août, me voilà tout seul. Le WWOOFeur Étienne, les copains et leurs enfants sont repartis. Laëtitia et Anaïs ont pris la route pour le Vaucluse, chez mes parents. Évidemment, les récoltes prennent plus de temps (maudits haricots verts!). Il faut palisser les tomates de plein champ et transformer les invendus: coulis de tomate, poivrons en bocal, caviar d’aubergine. Je sème des navets et des carottes dans le compost de déchets verts à l’emplacement des oignons jaunes, après passage de la campagnole. Je sème aussi 600 mottes d’oignons primeur en caissettes, pour le printemps. Seul à la maison, je profite de la pluie pour me payer une journée de repos complète, seulement ponctuée d’un aller-retour au garage où m’attend le motoculteur enfin réparé. Pascale (ma tante) et Claude passent une nuit à la maison sur le trajet de leurs vacances. Le même soir, Anaïs fait son cinéma sur Skype: c’est l’heure du bain chez papy et mamie.
On a goûté pour vous
Début septembre, j’ai encore plein de boulot. Passage de rotavator et débroussailleuse en prévision des plantations d’automne, déplacement de lignes de micro-aspersion, buttage des haricots, palissage et entretien dans les tomates, aubergines, poivrons. Ramassage de tous les melons de plein champ aux feuilles ratatinées, qui finissent au compost. J’ai goûté les fruits: ils sont insipides. Je pose des filets anti-insectes sur les carottes après désherbage. Les récoltes sont longues, parfois jusqu’à la nuit. Idem pour les plantations, car il fait encore trop chaud en journée: laitues, blettes et choux-fleurs entre 19h et 21h. Mais je dois aussi finaliser le flyer du vide-grenier de Villebramar. Et me rendre à une réunion de l’asso du marché bio de Villeneuve-sur-Lot, puis à celle de la commission territoriale pour l’eau, en ma qualité de conseiller municipal. Le 2 septembre, Anaïs et Laëtitia sont de retour. Je commençais justement à m’ennuyer.
Un peu d’air pur
Le COVID-19 n’a pas eu raison de la fête à Monbahus, où l’on mange des moules-frites en compagnie de Samantha et Michael. Au son du groupe de baloche et des auto-tampons, Anaïs en prend plein les yeux et les oreilles. À partir du 8 septembre, notre fille fréquente la MAM de Tombebœuf. Laëtitia en profite pour avancer sur la paperasse, les lessives, le ménage. Anaïs est emmenée chez le toubib pour son premier vaccin, puis chez le chiropracteur à Bordeaux. On réfléchit aux détails de la réhabilitation de l’auvent en serre bioclimatique, et on fait venir un charpentier du coin pour un devis. Marie-Madeleine, la maman de Laëtitia, est venue en renfort, mais blondinette est à bout de nerfs. La petite est difficile, et les nuits se font en pointillés. Le vendredi 11 septembre, un vol en ballon fort matinal (cadeau pour mes 40 ans) produit à point nommé l’effet recherché: une énorme bol d’air pur dans un quotidien pas toujours respirable.
COVID-grenier
Le week-end du 13 septembre, les récoltes m’empêchent de participer à la modeste mais traditionnelle vendange chez le voisin Yves, et à la mise en place du vide-grenier annuel de la commune. À mon retour du marché de Pujols, Laëtitia souffre d’une réaction allergique à une piqûre d’abeille. L’ambiance est délétère, je me contente d’un aller-retour en poussette au village pour la fin du vide-grenier masqué (COVID-19 oblige). Lequel, paraît-il, a été un succès. Je dois m’échapper avant le nettoyage et le rangement de la halle. Entre bébé et surmenage, le comité des fêtes de Villebramar ne peut pas trop compter sur nous cette année. Le soir-même, c’est l’arrivée de Loïs, un ancien WWOOFeur en formation BPREA maraîchage qui a choisi d’effectuer un stage chez nous. On est très honorés. De le voir revenir avec un projet de vie bien ficelé si semblable au notre. De le voir revenir tout court! Loïs, on l’aime fort. Sérieux mais drôle, il a tout du gendre idéal.
Un rien l’habille
Mais le régime WWOOF, c’est fini. Un bon stagiaire est un stagiaire sur les rotules! Les missions s’enchaînent: campagnole et grelinette, désherbage et taille des fraises, arrachage des patates, épandage de compost, plantation de laitues et de choux pointus, conserves de tomates… Loïs s’en sort bien, car il a déjà un peu d’expérience. Et l’énergie de la jeunesse! Même au marché, il est impeccable dans son tablier «ferme de Videau». Faut dire qu’un rien l’habille, Loïs. À la maison, autre ambiance. Anaïs a la crève, et je dois la promener jusqu’à des heures impossibles avant qu’elle s’endorme. Laëtitia est au lit à cause des effets secondaires d’une potion anti-histamines. Ma belle-mère prend le train pour Poitiers le jeudi 17 septembre, après un séjour d’une semaine. J’ai du mal à imaginer comment, sans sa présence et celle d’un arpète, nous aurions pu nous maintenir à flot. Comme souvent, le timing est favorable aux coups de main providentiels.
Récoltons sous la pluie
On ne faiblit pas. La saison est à la plantation d’une première série de mâche (environ 1500 plants) le 18 septembre, de presque autant d’épinards le 23 et d’une planche de persil le 24. Comme il pleut, on se rabat sur le tri des oignons pour séchage à l’abri du tunnel à matériel. J’avance sur la planification des cultures en 2021. Me renseigne sur les aides agricoles régionales (en l’occurence, le PCAE), pour financer notre projet de serre bioclimatique. Laëtitia se déplace pour quelques massages à domicile. Un autre jour, elle participe à un atelier portage de bébé. Puis s’autorise une après-midi sans enfant à la piscine avec une copine. Pendant ce temps, il pleut toujours. Les physalis sont superbes, mais on récolte dans la boue. Loïs trie les oignons. Il pleut et il fait froid. L’été s’est fait la malle! Les ouvertures latérales des tunnels sont définitivement fermées. Le 27, on lance la première flambée de l’année.
Tutos à tâtons
Le lundi suivant, on fait un inventaire, on prend des mesures et on visionne quelques tutos en prévision du chantier de la salle de bain à l’étage. On file acheter des plaques de plâtre et un rouleau de pare-vapeur. Laëtitia se rend ensuite dans un magasin spécialisé pour y négocier parquet, lambris, peinture, laine de bois et autres matériaux bio-sourcés pendant que Loïs me rejoint sur le nouveau chantier, interrompant son marathon de la grelinette. Les copains Max et Flo, de Dordogne, nous rendent visite. Issus de la même promo WWOOF que Loïs, ils fêtent avec nous la réouverture du restaurant de Tombebœuf en même temps que les retrouvailles. Puis on se sépare. Loïs retourne à son foyer, son BPREA et son projet d’installation. Dans le Béarn, peut-être? Pour nous, ça paraît bien loin. Là-dessus, mes parents atterrissent le dimanche 4 octobre, pour un séjour d’une semaine.
Un temps de cheval
Le temps est toujours à la pluie, et les récoltes dans la boue. En dehors de celles-ci, je déserte le jardin. À part un rendez-vous massage du coté de Moulinet, Laëtitia se trouve plus disponible avec Anaïs en crèche, mamie en cuisine et papy en homme à tout faire. Le chantier avance: on pose le parquet en liège, on monte la structure métallique et on visse les premières plaques de plâtre. Je me décide quand même à chausser mes bottes pour couvrir la mâche d’un petit tunnel plastique sinon la pluie achèvera de la noyer. Les épinards ne poussent pas non plus. L’an prochain, je fous tout sous tunnel. En plus de mes parents qui arrachent les tomates en plein champ, on bénéficie d’une main d’œuvre inopinée en la personne de Kristen et Pierangelo. Ces deux-là ont trouvé refuge dans le pré du voisin, avec leurs poules, leurs juments… et la roulotte qui leur sert de maison!
Le coup de la panne
C’est un mois plein de suprises. On déniche 2 kg de cèpes dans le bois voisin. Pierangelo, qui a bossé à l’INRA et créé une endive rose, semble connaître le règne végétal comme sa poche. Maman adore aller aux champignons avec Kristen. Je revends les potimarrons bio du voisin Philippe comme des petits pains avec ce climat propice aux soupes. Et puis, nos deux voitures tombent en panne, le même jour. Le fourgon repart avec une batterie neuve, juste à temps pour le marché de Villeneuve-sur-Lot auquel une représentante de WWOOF France est venue à la rencontre des 5 agriculteurs hôtes qui le fréquentent. L’après-midi, on récupère l’autre bagnole. La roulotte a continué sa route, mes parents sont retournés en Provence. On choisit de prendre le large, en famille, pour quatre jours de vacances bien mérités en Dordogne, pays de mystères, de forêts, et de fort pouvoir d’achat.
Trop chou
Lundi 19 octobre, rentrée de vacances, nous accueillons un ultime WOOFeur en la personne de Damien, qui échappe pendant les congés scolaires à son service civique dans une école près de Marmande. Complètement novice en matière de maraîchage, Damien a droit à la totale: des dizaines de brouettes de compost à charrier, des kilos de haricots verts à cueillir, des centaines de plants d’épinards à repiquer, des milliers de caïeux d’ail à trier. On dépasse le quota d’heures réglementaire, mais Damien en redemande. Pose mille questions. Et se paie à table. Pendant ce temps, le chantier de l’étage est au point mort. C’est qu’il faut rattraper le temps perdu au jardin avec le soleil revenu. On cravache. J’en oublie même le conseil municipal. Je vends mes premiers choux, avec succès. Le lundi suivant, on accueille Aurore, en formation BPREA maraîchage à Sainte-Livrade, qui viendra régulièrement cette année. C’est l’usine!
Les chauves près du poêle
Et ça continue: grelinette, campagnole, compost, plantation, reformation de planches, rempotages, semis… On fera une grande pause à partir de décembre, une fois que tout sera en place pour le printemps. En attendant, on caresse nos projets d’avenir: la salle de bain de l’étage sera prête avant Noël, promis. Et on attend les devis du charpentier et du maçon pour la construction de la serre à semis bioclimatique. Et l’appel à projet de la région qui jugera du caractère écologique de ce projet et nous permettra peut-être de le financer. Le sourire d’Anaïs est tous les jours plus craquant. Ses grands-parents maternels débarquent le 29 octobre et peuvent en témoigner. Sur son crâne encore chauve, un petit bonnet phrygien tricoté par une copine. Ça commence à cailler un peu. L’ambiance est à la fin de saison, le retour au calme près du poêle. On reforme le cocon en prévision du froid. Et tiens, c’est officiel, on reconfine.
Superbe !
Bravo tu nous régales, beau récit comme d’habitude ?